VIRGINIE DELALANDE

Virginie Delalande interview expertise

Par LES APERETTES

Conférencière, animatrice TV et auteure, Virginie Delalande inspire par son parcours, sa détermination et ses actions.
Sourde profonde de naissance, elle s’est toujours battue pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés, en étant là où on ne l’attendait pas.
Dans cette interview, Virginie partage son expertise pour changer le regard des managers sur le recrutement des personnes en situation de handicap.

Eve :
Pourquoi la diversité est-elle un atout ?

Virginie :
Quand on est issue de la diversité, naturellement on ne rentre pas dans le moule. Du coup, on essaie de s’en rapprocher le plus possible, ce qui demande une grande souplesse.
On va devoir développer un certain nombre de soft skills pour arriver à nous adapter : l'empathie, l'ouverture d'esprit..., et il est aussi nécessaire de développer des compétences pratiques parce que quand on est handicapé, il faut être capable de faire la même chose que les autres avec moins.
Cela signifie qu'il faut comprendre le vrai objectif, être plus efficace, plus pratique et mieux organisé.
A titre personnel, j’ai développé par exemple une vitesse de lecture hors norme, une excellente orthographe. Cela m'a permis de faire mieux que les autres, c'est devenu un avantage. Ma peur de ne pas être à la hauteur s'est transformée en atout.
On croit parfois que nos défauts sont nos pires tares. Par exemple, auparavant je laissais toujours les autres prendre la parole en public à ma place par crainte de dire une bêtise. Mais, en faisant des conférences, je me suis rendue compte que c'était mon plus bel atout. Ma particularité fait qu’on ne m'oublie pas, et en plus les gens se concentrent et m’écoutent car au départ, un petit effort d'adaptation à mon élocution singulière est nécessaire.
Cela devient une qualité dans ma nouvelle vie professionnelle.

De plus, quand on est différent, on se rend bien compte de la force des préjugés. En effet, quand on me regarde, la première chose qu’on voit c’est tout ce que je ne peux a priori pas faire :
- Je ne peux pas téléphoner
- Je ne comprends rien de tout ce qui est sonore
- Les réunions, c’est la galère…

Néanmoins, quand on me connaît, on est surpris de voir que c’est possible grâce à la technologie, grâce à l'aide humaine... On réalise vite qu’un être humain est bien plus capable et bien plus riche que les étiquettes qu’on lui colle sur le front.

Eve :
Comment accueillir ou intégrer sereinement une personne en situation de handicap en entreprise selon vous ? Quelles actions conseillez-vous de mettre en place par les entreprises ?

Virginie :
Il y a plusieurs moyens de bien intégrer une personne en situation de handicap dans une entreprise.
Une chose prioritaire à retenir, ce n'est pas parce que 2 personnes ont le même handicap que la solution mise en place pour la première marche pour la deuxième.
C’est vraiment au cas par cas.

1/ il faut préparer l'arrivée en amont avec cette personne avec :
- La sensibilisation de l’entourage professionnel
- La sensibilisation globale sur le sujet du handicap
- La sensibilisation pratico pratique : ce que la personne peut faire facilement ce qu’elle peut faire avec des aides et ce qu’elle ne peut pas du tout faire.
Ensuite on répartit les rôles en fonction des membres de l'équipe, et ce n’est pas parce qu’une personne en situation de handicap intègre une équipe, qu’elle est dépendante ou moins capable. Il faut juste faire preuve de bon sens : ne pas avoir d’attentes là où la personne est le plus en difficulté. En effet, on utilise le talent de chacun au service du collectif. Chaque collaborateur (en situation de handicap ou non) a ses propres faiblesses : certains sont hyper timides, d’autres ont du mal à prendre la parole en public, ou ont une qualité rédactionnelle désastreuse.
Le collectif doit se baser sur les talents individuels. Il faut en prendre conscience et arrêter de focaliser sur le handicap, de le voir systématiquement comme un problème.

2/ Bien accompagner les managers est primordial. En effet, si les managers ne veulent pas avoir de personnes en situation de handicap au sein de leurs équipes, ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas ouverts d'esprit ou qu'ils ont un problème avec la diversité...
C'est juste qu'on leur demande d'atteindre des objectifs, et ils peuvent avoir le sentiment que la nouvelle personne recrutée va les empêcher d’atteindre ces objectifs.
C'est vrai pour le handicap, mais également pour toute forme de diversité et de problématique individuelle.
Les managers sont stressés par de multiples facteurs. Grâce à un accompagnement, le manager se sentira moins seul face aux questions du type :
- Comment puis-je dire ce genre de chose ?
- Comment dois-je gérer cette situation ?
- Comment gérer les conflits dans les équipes ?
C'est important qu'il ressente qu’il forme un binôme avec l’équipe RH.

3/ Il est également nécessaire de libérer la parole sur la vulnérabilité. Dans la vie, on passe tous par des moments un peu compliqués (se sentir dépassé ou pas à la hauteur, traiter un dossier complexe, avoir des soucis personnels…).
Le manager doit être capable de permettre à chaque membre de l'équipe de partager une difficulté à l'instant T.
Et la présence d’une personne en situation de handicap dans une équipe facilite cette libération de la parole. Le fait de voir une personne en situation de handicap arriver à exprimer sa vulnérabilité, e faire aider et accompagner et voir que ça se passe bien pour elle, forcément ça autorise les autres à faire de même.
C’est même un atout pour la cohésion d'équipe et pour le bien-être collectif.

Eve :
Ça permet de partager sa vulnérabilité mais également sa force.

Virginie :
Exactement !
Justement, il y a des personnes qui sauront faire ce que d’autres ne sauront pas et cela favorise l’entraide, la solidarité, l'esprit d’équipe et même le bonheur au sein de l’équipe.
Un autre élément peut être intéressant, c’est de prévoir un budget ad hoc pour l’onboarding.
Seules 20% des personnes en situation de handicap demandent un aménagement de poste. Mais certaines personnes qui ne sont pas déclarées en situation de handicap peuvent aussi avoir des problématiques (mal au dos ou accident temporaire par exemple). Le fait que tout le monde ait accès à un petit budget pour aménager son poste permet la liberté de parole et permet une meilleure QVT, ce qui manque souvent dans les entreprises, en donnant l'impression d'être un numéro.
De cette manière, l’onboarding individuel n’est plus réservé au handicap et cela ne crée ni jalousie, ni frustration, ni aucun sentiment désagréable.

Eve :
Quels conseils donneriez-vous pour désamorcer des malaises et des non-dits autour du handicap ?

Virginie :
C’est exactement la même façon de faire qu’avec n’importe qui.
À chaque fois que vous abordez un sujet qui a pu gêner la personne en face, soit vous mettez le pied dans le plat en disant : « je suis désolé d'avoir créé un malaise. Je ne suis pas sûr de d’avoir eu le bon comportement. J’ai envie d’apprendre si vous êtes d’accord ».
On s'excuse et on passe à autre chose.
On ne profite pas de cette excuse pour partir en courant parce qu’on est aussi mal à l’aise. Cela donnerait le signal à la personne en face qu’on la rejette alors qu’en réalité, on fuit notre propre malaise.
Justement, il faut être suffisamment à l’aise avec ça. De toute façon dans la vie, il nous arrive régulièrement d'être maladroits.
Lors de mon émission, cela m’arrive aussi régulièrement et je m'en excuse. Ensuite, je passe au sujet suivant mais je reste avec la personne et je garde le sourire pour qu'elle se rende compte que cela n'a pas abîmé la relation, le regard que je porte sur elle.

Eve :
Comment agir de manière décomplexée, véritablement aidante, si vous avez des conseils à donner par exemple aux managers ou aux collaborateurs ?

Virginie :
De manière générale, on ne sait pas comment.
Cela fait des années que je travaille dans le domaine du handicap et je suis régulièrement prise au dépourvu. On se dit « est-ce que je gêne la personne ou pas ? Est-ce qu’on peut dire ça ou pas ? »
Par exemple, depuis quelque temps, je rencontre des personnes qui ont une espérance de vie très limitée. La première fois cela m’a mis très mal à l’aise, non pas parce que j’avais de la peine ou de la pitié, mais parce que je me disais « Est-ce que ma joie de vivre est appropriée ? Est-ce qu'il faut que je force encore plus ? De quoi dois-je parler ? Parce que si je parle d'avenir, je vais devoir me limiter. »
Pour ne pas être pris au dépourvu, il faut demander aux gens ce dont ils ont besoin, s’il y a quelque chose que l’on doit savoir pour qu’ils soient plus confortables, leur faire sentir que l’on est à leur écoute et disposition. Ainsi, on n'est pas envahissant, et en même temps, on donne de l’espace pour exprimer un éventuel inconfort.

Eve :
Quelles sont selon vous les principales idées reçues sur le handicap et comment les déconstruire ?

Virginie :
Première idée reçue : les personnes handicapées sont toujours malades ou en arrêt maladie.
Ce qui est à la fois vrai et faux.
C’est-à-dire qu’il y a certains handicaps où on a des maladies chroniques, des rendez-vous médicaux qui nécessitent des absences. Mais dans la pratique, on voit que les gens essayent de protéger au maximum leur profession et prennent généralement leurs rendez-vous sur leurs congés. Honnêtement, entre la théorie et la réalité, il y a quand même une sacrée marge.
En vrai, toutes les personnes qui n’ont pas de handicap qui touche à la santé, par exemple les personnes sourdes, les personnes aveugles, les personnes en fauteuil, ne peuvent pas être plus absentes que les autres. En effet, elles ne sont absentes que lorsqu’elles sont malades. Et c’est la vraie raison qui justifie leur absence, mais il ne faut surtout pas englober tout le monde.
Un autre préjugé est qu’une personne handicapée est moins capable ou moins performante. C’est un argument qui me fait bien rire parce que justement on arrive généralement à faire la même chose que les autres mais avec moins.
Justement, quand on a un handicap, on a l’habitude de composer avec les obstacles, de faire preuve de créativité, d’innovation et d’adaptation. Et lorsqu’il y a une difficulté ou une situation compliquée au travail, une personne en situation de handicap est plus à même de rebondir rapidement qu’une personne valide.
Le troisième argument, que je pourrais avancer c’est que quand une entreprise embauche des personnes issues de la diversité, il y a une hausse de 30% de chiffre d’affaires. Plusieurs études américaines le confirment. Tout cela veut bien dire que la diversité de manière générale est une qualité plutôt qu’un défaut.
Ça, c’est sur le principe de la vie professionnelle.
Et si on parle de vie personnelle, penser qu’avoir un handicap signifie avoir une vie minable, en touchant une allocation donc avec un niveau de vie très bas, n’est pas tout à fait vrai. C’est-à-dire qu'en France, sur 12 millions de personnes en situation de handicap, seulement 1,13 millions de personnes touchent les minima sociaux.

Donc
1/ Tous ceux qui touchent les minimas sociaux ne sont pas en situation de handicap. Car 4,30 millions de personnes sont allocataires de l'un des minima sociaux en vigueur.
2/ Tous les autres sont parfaitement intégrés et cachent régulièrement leur handicap surtout s’il est invisible.
3/ En réalité, le handicap est à l'image de la société. On a des gens en bas, on a des gens en haut, on a des cadres, on a des ouvriers, on a vraiment de tout.

En plus en termes de bonheur je connais beaucoup de personnes qui ont connu de vrais drames (comme une amputation des bras et des jambes), des choses que personne ne rêve de vivre dans sa vie et qui expérimentent aujourd'hui être plus épanouis de cette nouvelle vie d’handicapé que dans leur vie antérieure.
Cela paraît incroyable mais ça montre bien que quand on ouvre les portes du handicap, on découvre un univers que l’on ne soupçonnait pas, celui de la bienveillance, de la solidarité et de l’entraide. On découvre que les limites qu’on se posait n’existent pas en réalité et qu’on peut même faire bien plus que ce que l’on imaginait au départ. On se rend compte aussi que grâce au handicap on vit des choses qu’on n’aurait jamais vécues si on avait été valide.

Eve :
Vous dites qu’il y a des personnes valides et qui sont devenues handicapées à la suite d’un accident grave, sont devenues encore plus heureuses qu’auparavant, parce que dans ce mouvement-là, il y a beaucoup de bienveillance et d’entraide. J’imagine qu’on trouve une force en soi qu’on n’imaginait ne pas avoir. Mais connaissez-vous d'autres raisons à cela ?

Virginie :
C’est toujours la même histoire que pour la résilience.
Au départ, on ne voit que le côté négatif du handicap, c’est-à-dire tout ce qu’on ne peut pas ou qu’on ne peut plus faire. On a donc une image très négative. Puis à un moment donné, on finit par accepter la situation. Et à partir du moment où on accepte, un champ des possibles s’ouvre à nous. On s’autorise tout, On prend conscience qu’on ne rentre plus dans le moule.
En effet, le handicap est une invitation à sortir du cadre et à explorer de nouveaux horizons.
Quelque part, les handicapés sont des aventuriers qui écrivent des pages de livres qui n'ont pas encore été écrites, qui élargissent le champ des possibles, qui bousculent la science et la connaissance humaine.
C'est de ce côté que je me reconnecte à la vie par l’exploration, par la rencontre, par les échanges, par l’entraide. Ça devient beaucoup plus riche humainement et surtout on s'aperçoit que la science a tort de passer à côté de nous.
Aujourd'hui, la science ne s’intéresse au handicap qu’à travers le prisme médical. Néanmoins, si elle s’intéressait au handicap à travers cette partie innovation, créativité, compensation, elle s’apercevrait qu’il y a encore un sommet d’exploration incroyable. C’est justement ça qui nous nourrit car nous sommes de réels explorateurs des temps modernes.

Eve :
Quels sont selon vous les meilleurs arguments pour convaincre un manager d’intégrer une personne en situation de handicap dans l'entreprise ?

Virginie :
On a vu que les managers ne voyaient que les soucis supplémentaires parce qu'ils subissent déjà la pression, le stress, les objectifs, le sujet du management, et d'ailleurs, très souvent ils n’ont même pas ou insuffisamment été formés en management.
Aujourd’hui 50% des entreprises affirment connaître des problèmes de recrutement. Pour pouvoir répondre aux besoins, on n’a pas d’autre choix que de s’ouvrir à la diversité parce que justement dans la diversité il y a des talents cachés.
Le deuxième point est qu’avoir une personne différente dans son équipe, nous oblige à nous intéresser à la partie organisationnelle de l’équipe. Cela nous permet de voir dans quel sens notre organisation marche bien, et ce qui nécessite de petits aménagements, de petites améliorations... pour le bien-être collectif.
En réalité, la personne en situation de handicap n’est juste qu'une démonstration de la bonne ou mauvaise santé psychologique d’un service ou d’une entreprise (si le sujet est plus global). Une personne en situation de handicap bien intégrée, c'est un collectif bien intégré forcément. Le handicap est le défi ultime de l’intégration, étant donné qu’il y a à la fois le but collectif, la difficulté organisationnelle pratique, les relations humaines et la performance. De ce fait, si la personne en situation de handicap est bien intégrée et si tout se passe bien, cela se traduira nécessairement par une équipe performante et efficace.
On en a parlé tout à l’heure avec la vulnérabilité mais une personne en situation de handicap va apporter aussi de l’empathie, de la joie de vivre parce qu’en général elle est ravie d’être embauchée. Elle est heureuse d'avoir enfin trouvé un emploi. Elle a une belle énergie en général et ça contamine l’équipe. D’ailleurs, le sourire est contagieux.
Sa capacité de résilience fait aussi du bien à tout le monde parce qu'en voyant une personne en situation de handicap qui s’en sort et est positive, on se dit que finalement, ça ne va pas si mal.
Bref, voilà plein de choses qui font bouger les lignes dans les équipes.