Eve :
Peux-tu te présenter ?
Charlotte :
Bonjour, je suis Charlotte D., j’ai 36 ans. Je suis maman de 2 filles. Après des années d’errance dans toute une variété de domaine d’activité j’ai fini par trouver ma voie fin 2022 et ai signé le CDI de ma vie dans une entreprise qui œuvre pour l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap.
J’ai obtenu ma reconnaissance en qualité de travailleuse handicapée après une très longue réflexion. Ce n’est pas un « titre » que l’on s’empresse de réclamer, il faut déjà l’accepter et pour certains c’est une démarche complexe et un parcours intime. Je souffre d’arthrose et de tendinopathie chronique sur plusieurs de mes membres, ce qui provoque de la douleur et une grande fatigabilité (liée notamment aux traitements), j’ai également gardé des séquelles d’un burn-out fait en 2017 (tolérance à la foule et au stress très limitée.) et j’ai de l’adénomyose (endométriose utérine modérée).
Eve :
Quelles sont les actions que tu as mises en place et que tu aimerais partagées ?
Charlotte :
A mon échelle d’employée, les actions mises en place pour parler de handicap se résument principalement à communiquer dessus ! En effet, mes pathologies sont invisibles, il donc souvent compliqué de faire comprendre à mes interlocuteurs pourquoi moi « j’ai droit » à une chaise ergonomique et un bureau assis-debout ou à plus de jours de télétravail alors qu’eux non.
Je sais parler de ce dont je souffre de manière sérieuse mais aussi avec humour et légèreté mais il est vrai que ce n’est pas le cas de tout le monde. Après il n’est pas nécessaire de rentrer dans les détails. Mais c’est important de faire comprendre par exemple, que les limites d’un handicap moteur ne se résume pas à un fauteuil roulant ou à ne pas pouvoir monter les escaliers par exemple et que l’impact d’un traitement médicamenteux peut aussi influer sur l’état de la personne et ses limitations.
Eve :
Lors de notre formation "changer le regard des managers sur le handicap" pour les inciter à recruter des personnes en situation de handicap, nous avons relevé comme idées reçues à déconstruire que les personnes en situation de handicap seraient :
- Moins adaptables
- Plus souvent absentes
- Moins compétentes
- Plus difficiles à manager (poste de travail à aménager, gène, maladresse...)
Selon toi, ces freins sont-ils exactement les mêmes ou diffèrent-ils du point de vue du collaborateur ? Existe-t-il des freins et appréhensions spécifiques aux collaborateurs par rapport à ceux des managers (compte tenu de leur différence d'objectif et de niveau et de régularité d'interactions avec eux) ?
Charlotte :
Disons que les freins se complémentent. L’idée comme quoi la personne sera plus souvent absente signifie pour l’employé que la charge de travail risque potentiellement d’être répartie et qu’il aura à subir l’absence de cette personne. Le fait de former cette personne prendra plus de temps, qu’il y aura des erreurs, des incompréhensions, … Que l’entreprise sera plus à l’écoute des besoins de cette personne sous couvert de son statut alors que le salarié « lambda » non.
Mais ce que les entreprises ne savent pas ou oublient très régulièrement (par manque d’information peut être) c’est qu’il existe des aides financières compensatoires à la baisse d’efficience d’un salarié pour son maintien au poste par exemple ou encore des aides à l’accueil et à l’intégration pour faciliter l’équipe à l’arrivée d’une nouvelle recrue porteuse de handicap.
Encore une fois, la communication reste la clé, j’en suis convaincue. Il est nécessaire aussi de préparer les équipes pour cela, de faire un peu « d’éducation ». Il existe mille outils à mettre en place en aval mais aussi en amont pour accompagner une entreprise à l’embauche d’un salarié en situation de handicap. L'Agefiph leur propose notamment une “étude préalable à l'adaptation des situations de travail” ou encore les « prestations d’appui spécifique » qui touchent tous les types de handicap. Un autre outil mis à la disposition des entreprises par l'Agefiph, “l'aide au tutorat”, permet de former un manager ou un collaborateur à l'accompagnement d'un salarié handicapé. Ces dispositifs gagneraient à être mieux connus car ils sont gratuits…
Eve :
Peux-tu partager des arguments pour déconstruire chacun des préjugés ou freins listés dans les questions précédentes ?
Charlotte :
Je vais y répondre de manière générale puis faire un parallèle avec ma situation.
- « Les PSH sont moins adaptables » : Mais c’est tout l’inverse ! Vous n’imaginez pas l’énergie dépensée à s’adapter ! Encore une fois, cela dépend du type de handicap, mais il faut adapter son trajet, ses postures, sa manière de traiter les priorités, ses échanges avec les collègues, l’organisation de son temps de travail… Attention il ne faut pas confondre adaptation et abnégation. L’avantage c’est que la plupart des PSH ont une grande faculté à prendre du recul et à se remettre en question. Elles ont une très bonne connaissance de leurs limites aussi. Vous pouvez faire confiance à une PSH quand elle vous dit qu’elle va y arriver ou à l’inverse que çà dépasse ses capacités, elle sait, elle se connait. EX : Quand on mise sur moi pour de nouveaux projets ou des interventions à l’extérieur cela me demande de l’adaptation mais le fait que l’on compte sur moi me galvanise et me motive. J’ai une envie sincère et forte de me dépasser. Je ne ferai pas preuve d’abnégation pour autant. Car sacrifier mon corps ou ma santé risque de m’impacter après coup. Tout est une question d’équilibre et de communication.
- « Les PSH sont tout le temps absentes » : quelle légende urbaine… Et quand bien même ?! Croyez vous vraiment que la personne qui est en arrêt se sente bien ? Non seulement elle est souffrante mais en plus elle ne cesse de se dire que ses soucis de santé impactent son travail : elle prend du retard, elle laisse ses dossiers/missions/tâches à ses collègues… Elle devra rattraper et souvent on attend d’elle qu’elle s’excuse ! Rappelez vous toujours que cette personne n’a pas choisi d’avoir ces pathologies et qu’elle est la première à en subir les souffrances. Personne n’est à l’abri d’un souci de santé demain comme aujourd’hui. Les personnes handicapées ne sont pas plus absentes que les personnes non reconnues. La majorité des pathologies sont stabilisées médicalement parlant.
EXEMPLE : L’hiver je souffre davantage de mon arthrose, j’ai dû me voir prescrire plusieurs fois sur 4 mois des arrêts de travail de 10 jours environ. En échangeant avec ma direction de l’époque j’ai pu leur expliquer que j’étais tout à fait apte à travailler mais c’était me déplacer qui était compliqué à ce moment-là. A partir de là, le télétravail n’était pas du tout installé dans l’entreprise, et bien mon handicap a fait bouger les choses et ce, pour tout le monde !
- « Les PSH sont moins compétentes » : Dans les offres d’emploi, pour la plupart, il y a une petite phrase à la fin « à compétences égales, la priorité sera donnée aux personnes RQTH ». Ça veut bien dire ce que çà veut dire. Pourquoi un BAC +2 TH ne vaudrait pas un BAC +2 non-TH ? Je n’ai pas d’exemple car je n’ai pas rencontré cette difficulté. C’est une idée reçue ancrée dans la tête de certaines personnes mais qui s’envole rapidement dans les premières semaines après la prise de poste.
- « Les PSH sont difficiles à encadrer » : La plupart des personnes en situation de handicap ont besoin d’être écoutées mais surtout entendues. Sur cette base, miser sur la communication est l’essentiel. Autant la personne peut vous faire part de ses besoins et de ses appréhensions mais elle peut aussi entendre les vôtres, du moment évidemment, qu’elles soient formulées avec bienveillance et respect. On préfèrera un manager qui nous dit rencontrer des difficultés à aborder une attitude gênante ou la sensation d’un besoin d’aménagement spécifique plutôt que quelqu’un de fermé, campant sur ses positions et ses idée reçues. Handicapé ou pas d’ailleurs !
EXEMPLE : quelques semaines après mon embauche sur ce CDI tant rêvé, je suis convoquée par ma manager. Elle me fait part, avec tact et diplomatie, du fait que je fais très peu de dossier et que je suis assez renfermée vis-à-vis du reste de l’équipe. Elle est embêtée car elle ne doute pas de mes compétences mais elle aimerait comprendre et savoir si elle peut faire quelque chose pour que j’aille mieux. Je me sens privilégiée de voir que ma chef, ma N+1 se soucie de moi. Je lui explique que mes douleurs sont importantes à la vue du trajet que j’effectue et que j’ai dû prendre un traitement un peu plus lourd qui impacte ma fatigabilité et ma concentration. Mais que ce n’est que passager. On convient ensemble d’une organisation de travail temporairement différente. Nous sommes toutes deux sorties de cet échange, rassurées et motivées ! Etonnant ou pas mais j’ai été bien plus productive après cet entretien. Pas par peur d’être blâmer parce que je n’atteignais pas mes objectifs mais plutôt galvanisée par cette considération que l’on avait eue à mon égard.
Eve :
Quel conseil donnerais-tu à un collaborateur en cas de maladresse ?
Charlotte :
L’évidence, la base dans un premier temps c’est tout simplement de s’excuser ! S’excuser c’est admettre son erreur. Au même titre qu’une maladresse sur la couleur de peau ou la religion. La majorité des PSH ont beaucoup d’humour et d’autodérision, vous pouvez être surpris ! Et puis après tout on est tous humain. En revanche il faut aussi accepter que cette personne puisse être blessée et aura besoin d’un peu de temps pour pardonner.
Eve:
Quelles sont les choses à faire pour intégrer une personne dans son équipe dans les meilleures conditions ? (En tant que collègue)
Charlotte:
Et bien l’accueillir comme un salarié « classique » lui permettra de sentir dès le départ qu’il fait partie intégrante de l’équipe. Il ne faut pour autant pas occulter sa « différence » mais sans la lui faire ressentir. Vous vivez son handicap dans votre journée de travail d’environ 8h, 5 jours par semaine. Elle le vit H24 et 7/7J donc elle a besoin qu’on la considère comme une personne salariée de l’entreprise à part entière et pas uniquement un travailleur handicapé.
Charlotte :
Peux-tu partager des témoignages, histoires inspirantes... ?
[Témoignages cf questions sur les préjugés.]
Je suis triste de dire que j’ai eu plus d’aventures professionnelles désastreuses pour beaucoup liées à l’accueil qui a été fait de mon statut auprès des équipes que de jolies histoires inspirantes. Cependant, ce que je retiens c’est qu’avoir une personne handicapée dans son effectif, soutenue par un management inclusif et communiquant, permet de vivre des aventures professionnelles riches humainement. Cela ouvre les esprits, lève des préjugés et construit une relation d’équipe basée sur la bienveillance, l’empathie et la confiance. Et çà dans le travail çà n’a pas de prix. Pour chacun, l’estime de soi, la loyauté et la motivation s’en trouvent boostés et c’est bon à tout point de vue et pour tout le monde. D’aucun ne souhaite cela, mais demain personne n’est à l’abri d’un accident de vie alors autant traiter les autres comme on aimerait l’être dans cette même situation !
Au sujet des appréhensions et des préjugés ils sont séparés mais très liés. En effet l’appréhension, qui est une crainte vague d’un danger futur, est souvent fondée sur un préjugé, une opinion préconçue souvent imposée par l’éducation, le vécu ou l’environnement.
Exemple : le syndrôme autistique
Préjugés : haut potentiel, intelligence démultipliée, renfermée sur elle-même, incapable de communiquer, résout des problème complexe rapidement…
Appréhensions : impossible de l’intégrer à l’équipe, pas moyen d’échanger avec elle, comme elle travaille plus vite les tâches similaires aux miennes seront exécutées plus rapidement et mon entreprise finira par ne plus avoir besoin de moi.
On le fait tous et c’est humain de se baser sur sa propre échelle de références. Cette personne est reconnue TH pour de la lombalgie. « oui enfin moi aussi ma femme souffre de lombalgie mais pourtant elle a pas de reconnaissance.. » (peut-être qu’elle devrait !) « mon mari travaille dans le bâtiment et il va très bien ! » (pour le moment !) « j’ai la même chose et çà fait pas si mal ! » (une douleur dans un corps = une perception et une sensation pour chaque corps)
A ce sujet, la fondation pour la recherche médicale nous dit :
« La douleur est un phénomène complexe, subjectif, qui peut être ressenti différemment suivant l’individu et son environnement. La douleur est conditionnée par deux principaux facteurs : la perception et la sensation.
La perception est un phénomène sensoriel transmis au cerveau par les neurones sous la forme d’un signal électrique. Elle varie selon le stimulus qui génère ce signal électrique.
La sensation, quant à elle, résulte du processus d’interprétation de ce signal électrique par notre cerveau qui dépend, entre autres, de l’état de santé de chaque individu, de son âge et de l’environnement. Une même douleur peut ainsi être ressentie de manière différente suivant les personnes. »
- PSH = Personne en Situation de Handicap
- TH = Travailleur Handicapé
- AGEFIPH = Association nationale de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées