Mathilde est une jeune femme de 32 ans, maman de 2 enfants, conférencière et formatrice sur les sujets du handicap.
Dans cet interview elle nous parle de son handicap et de son expérience.
Eve :
Pouvez-vous vous présenter ?
Mathilde :
Je suis Mathilde Cabanis, j’ai 32 ans. Je suis la maman d’Hortense, 3 ans et de Marceau, 1an.
Je suis issue d’un parcours académique classique. J’ai fait de l’école de commerce, puis j’ai travaillé pendant 8 ans en association et en entreprise pour des missions handicap. J’ai fait du recrutement, du maintien de l’emploi…
Après mes études, j’avais un objectif de carrière : travailler en mission handicap, principalement parce que je suis devenue handicapée pendant mon parcours d'études supérieures.
J’ai fait plusieurs AVC, lors d’un séjour au Népal, et je me suis faite opérer du cerveau pendant mon année de césure. Ça a été une sacrée expérience. J'ai dû apprendre à tout refaire en centre de rééducation.
Je suis paralysée de tout le côté gauche de mon corps.
Le handicap m’a vraiment plongée dans un nouvel environnement que je ne connaissais absolument pas.
J'ai réalisé un mémoire de fin d'études sur le handicap (qui a d'ailleurs été publié). Et c'est à ce moment-là que je me suis rendue compte que je voulais travailler dans ce domaine, alors que je m'étais initialement orientée vers le tourisme. Je me suis dit que finalement, si le handicap me tombait dessus c’était peut-être parce qu’il fallait que je fasse ma part pour aider les associations et professionnels du handicap.
Mon combat pendant quasiment 10 ans a consisté à :
- Mener un grand nombre d’actions pour l’emploi des personnes en situation de handicap
- Sensibiliser les jeunes notamment dans les études supérieures
- Réaliser des actions de communication qui se tournent vers les jeunes pour les inciter à tirer profit de l'école
Si les entreprises ne peuvent pas recruter c’est parce que les jeunes en situation de handicap ne sont pas formés. Tous les aménagements de poste qu’on demandent aux entreprises, il faut d’abord les instaurer au moment des études parce que sans qualification, les jeunes n’ont pas de travail. C’est un peu ma motivation et ma quête de sens.
Et puis, je suis tombée enceinte.
Suite à mon congé maternité (pendant le confinement), reprendre le travail après 6 mois de pause en télétravail n’était pas l’idéal pour moi. J’ai donc prolongé la durée de mon congé maternité. Et c’est à ce moment, que j’ai réalisé que je passais énormément de temps à cuisiner. J’adore cuisiner certes, mais dès que j’avais terminé de préparer un repas, je devais déjà penser au suivant.
En permanence à la maison avec mon mari et ma fille, je cuisinais pour 4 personnes 3 repas par jour. C’était épuisant.
Ma fille étant assez jeune et en période de diversification alimentaire, j’ai énormément cuisiné (principalement des petits produits : des petits flans, des petites galettes, des muffins) dans le cadre de la diversification menée pour l’enfant (DME). Il s’agit d’un mode de diversification qui consiste à ne pas forcément donner que de la purée à son enfant dès 6 mois mais à donner de petites pièces à manipuler.
Globalement, les enfants en mettent partout, mais cela favorise leur autonomie. Comme j’avais le temps, que j’étais à la maison, je me suis investie totalement là-dedans.
Et quand j’ai repris le travail à la fin du confinement, je me suis dit que c’était bien mais que je ne pouvais pas continuer, car je n’aurais plus le temps de cuisiner autant que pendant mon congé maternité.
C’est là où j'ai commencé à monter LA JANAIE, un projet de finger food pour les enfants, prêt à l’emploi, que les parents pouvaient décongeler.
Quand j’ai repris le travail, au bout d’un mois, on a découvert une maladie génétique à ma fille. Alors qu’elle n’avait pas encore 1 an, on nous a annoncé qu’elle allait très probablement mourir et que la seule manière de la sauver et de lui faire passer la fin d’année était de lui faire une greffe du foie.
J’ai immédiatement arrêté toute activité professionnelle et je me suis concentrée sur ma fille. J’ai passé des mois à l'hôpital avec elle.
Par chance, mon mari a pu être le donneur et en novembre 2020, on a pu la sauver.
Néanmoins, la greffe du foie n’était que le début d’un nouveau combat. Ensuite, il y a eu tous les suivis, tous les risques de rejets qui étaient compliqués. J’ai dû garder ma fille pendant un an à la maison. Âgée entre 1 et 2 ans, elle a commencé à manger de plus en plus comme nous. Il fallait encore continuer à cuisiner, toujours plus, cela m’a épuisée.
J’ai cependant eu la chance de faire le parcours Ticket for change, des entrepreneurs en 2021. C’était un cadeau que je me suis offert pour célébrer la fin de cette greffe et la fin d’année. Grâce à tout le temps que j’avais maintenant à disposition, étant 24h à domicile, j’ai pu vraiment me concentrer sur mon projet entrepreneurial. Initialement, mon plan était de conserver mon emploi et de continuer à m’occuper de ma fille, mais cela faisait beaucoup.
Là, au moins, toute la partie professionnelle a été mise en stand-by, j’avais prévenu mon entreprise que je ne pouvais pas revenir travailler car je souhaitais me mettre à mon compte. Ils m’ont accordé 3 mois de don de jours. Pendant 3 mois, je n’avais pas à me soucier, j’étais payée pour être à 100% être avec ma fille. C’était vraiment chouette.
J’ai travaillé ensuite sur mon projet LA JANAIE et je suis tombée enceinte de mon deuxième enfant. Ce n'était pas le timing idéal mais on a accueilli cette nouvelle avec bonheur et joie, même si on a beaucoup stressé parce qu’il y avait une chance sur quatre pour que cet enfant ait la même maladie que sa sœur. Moi, je pouvais vivre une greffe de foie mais pas deux. On a fait tous les tests et il s’est avéré que Marceau allait très bien. Cela nous a soulagé.
Ayant appris ma grossesse quand j’ai intégré le parcours de Ticket for Change, j’ai effectué le parcours pendant mes 9 mois de grossesse. À la fin je craignais même d’accoucher sur place.
J’ai fait plusieurs tests avec mes produits, j’ai cuisiné plus de mille petites pièces que j’ai vendues à des parents à Montreuil, c’était une très belle expérience
Et puis j’ai accouché, je voulais tout simplement profiter de ce temps passé avec mon bébé. Mon mari gérait ma fille principalement et c’était une bonne période. Quand il a fallu retourner et se remettre la tête dans le guidon, j’ai commencé à avoir des doutes sur la cible. Le fait de travailler énormément pour des clients qu’on garde 3 à 4 mois n’était pas idéal.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à switcher plutôt sur la cible pour les enfants en général et de sortir de la finger food. J’ai alors commencé à cuisiner des plats préparés sans sel à ajouter, spécialement conçus pour les enfants parce qu’on estime qu’après 3 ans, les enfants mangent comme nous. Mais en réalité, ils ne mangent pas aussi salé, pas autant de viande, pas autant de quantité. Malheureusement, quand on travaille dur la journée, cuisiner un bon repas maison et tout faire soi-même est un peu le cadet de nos soucis. On se retrouve souvent à sortir les nuggets et les cordons bleus, toutes les nourritures ultra transformées. On sait que ce n’est pas hyper bon pour nos enfants mais c’est plutôt pratique.
Et c’est là que j’ai commencé à réfléchir à cette offre.
En parallèle j’étais incubée à Paris Tech au Fooding Lab et j’ai rencontré mon associée actuelle Marion qui travaillait sur Paupiettes, qu’elle était en train de développer. Avec Marion, lorsque nous avons présentés nos projets respectifs, nous nous sommes rendues compte que nous avions la même vision, que nous utilisions le même wording. Comme elle était plus avancée que moi dans le développement de Paupiettes, nous nous sommes associées. Et il se trouve que notre rencontre a été géniale.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR PAUPIETTES
Eve :
Avez-vous un message à faire passer ?
Mathilde :
J'aimerais vraiment que des investissements publics soient mis sur l'école et l'enseignement en règle générale pour les jeunes en situation de handicap. Aujourd'hui, il y a encore des enfants en situation de handicap qui ne peuvent pas entrer dans le système scolaire classique. On parle d'inclusion en entreprise mais en réalité, elle se passe dès plus jeune âge (dès la crèche ou l'école primaire)
Il faut que les enfants jouent ensemble et que les enfants qui n'ont pas de handicap comprennent ce qu’est le handicap.
Si on souhaite que nos entreprises puissent embaucher des travailleurs en situation de handicap, il faut qu'on donne accès aux études à ces jeunes en situation de handicap, sinon, il n'y aura jamais de personnes qualifiées.
On a tendance à orienter tous les jeunes en situation de handicap vers l'administration au niveau du Bac, alors qu’un grand nombre aurait aimé faire d'autres études. Je trouve qu'il faut arrêter de décider à la place des gens. Maintenant, on est quand même dans une société où on peut mettre en place des aménagements, des fonds existent. Effectivement, ça peut être lourd, ça peut être lent, ça peut être long et ça demande beaucoup d'énergie, mais laissons les jeunes choisir leur orientation et offrons-leur cette possibilité.
Personnellement, je n’ai pas expérimenté ce problème, étant donné que je suis devenue handicapée quand j'étais déjà en études supérieures. C’est une grande chance parce que j'avais déjà effectué toute ma scolarité et ce n'est pas à un an de la fin de mon Master qu'on allait me renvoyer parce que je devenais handicapée. Je suis bien consciente de la chance que j'ai eue. Mais quand je vois tous ces petits qui ont des handicaps qu'on refuse dans les écoles et que les parents doivent se battre. C’est dur car il faut à la fois gérer les problèmes de santé de nos enfants et se battre contre le système pour qu'il soit intégré. C'est vraiment d’une violence inouïe tant pour les parents que pour les enfants.
Il est indispensable que des actions de sensibilisation soient menées. Au début, les enfants ne se rendent pas compte des différences ils jouent ensemble et ils sont contents. Néanmoins, plus on grandit, plus on voit les différences. C'est la société qui met à part les gens dans de telles situations. J'ai une amie qui a créé La Cuisine de Jeannette, elle n'a rencontré la première personne en situation de handicap dans sa vie qu'à 22 ans. Elle l’a reconnu en se demandant : Mais j’étais où jusqu’à 22 ans ? Je n'ai croisé personne avec un handicap ! Comment est-ce qu'on peut espérer que les gens soient ouverts, qu'ils se sentent à l'aise, s'ils ne connaissent pas le handicap ?
Eve :
Si vous aviez une baguette magique, que feriez-vous?
Mathilde :
Si j’avais une baguette magique, j’aimerais que la place des mères dans la société et notamment des mères au foyer soit mieux valorisée. Je trouve que les mères au foyer sont peu considérées et un peu dénigrées. Or, je ne me suis jamais ennuyée en étant à la maison à m'occuper de mes enfants. Lorsque les employeurs reçoivent des CV de femmes qui sortent de 5 ans de congé parental, j’aimerais qu’ils les valorisent. Je trouve aussi que les mères sont multitâches, diplomates, gèrent tous les conflits, arrivent à désamorcer les situations et sont capables de faire 20 choses à la fois. Voilà ma petite baguette magique.
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