LUCEI CAUBEL SELLAM HELLO HANDICAP

Lucie CAUBEL-SELLAM - Directrice du Développement - Hello handicap

Par LES APÉRETTES

Lucie Caubel-Sellam nous parle dans cette interview du salon Hello handicap,et elle déconstruit les freins que peuvent avoir les collaborateurs à intégrer des personnes en situation de handicap dans leur équipe.

Eve :
Pouvez-vous me parler de Hello handicap et de vos engagements dans le domaine du handicap ?

Lucie :
En 2010, avec l’équipe de Handicap.fr, nous avons créé le salon Hello handicap : un forum de recrutement entièrement digital.
Nous souhaitions que personne n’ait besoin de se déplacer pour y participer. Autant vous dire qu’en 2011, c’était très innovant et audacieux, on nous a pris pour des fous.
Mais cette première édition a été un énorme succès, et 12 ans après, nous organisons 2 éditions par an (en Avril et Octobre), dont la dernière a réuni 150 employeurs, 20 000 offres d'emplois et 20 000 candidats.
Certains employeurs font aussi directement appel à nous pour organiser leur propre forum Hello handicap (comme le groupe Korian, Paris 2024, la Sécurité sociale...)
Depuis dix ans, le marché de l'emploi, les obligations légales et les mentalités évoluent, donc le salon aussi a énormément évolué. C'est devenu vraiment un observatoire de ce qui se passe sur le marché de l'emploi en général, mais particulièrement sur le marché de l'emploi des travailleurs handicapés. Et depuis les trois dernières années, les pré-sélections des candidats se transforment beaucoup plus en recrutement qu'avant. L’événement a gagné en qualité.

Parallèlement depuis 15 ans, je suis très impliquée en tant que bénévole sur les sujets de handicap psychique et de santé mentale. En 2010, j’ai eu la chance participé à la création de l'association Clubhouse France, dont l’objectif est d’accompagner l'insertion sociale et professionnelle des personnes touchées par une maladie psychiatrique. J’interviens dans des conférences et j’ai eu l’opportunité de faire une conférence Tedx sur le handicap psychique, j’y ai mis mes tripes !

Je suis également adhérente de l'UNAFAM, une association qui accompagne les proches et les familles des personnes handicapées et psychiques.

Et enfin nous avons créé « La Nuit du handicap » à Saubion, dans les Landes. Ce festival met en valeur les talents des personnes handicapées, et connait lui aussi un succès grandissant.

Eve :
Pour quelles raisons portez-vous le sujet du handicap ?

Lucie :

Au-delà de mon parcours personnel, pour moi, prendre en compte l’intégration du handicap dans l’entreprise et dans la société en général, contribue à améliorer la performance économique et sociale. Ces sujets « tirent vers le haut ». Une grande partie des innovations ont été créées pour compenser les conséquences d’un handicap sur la vie quotidienne.

L’exemple souvent évoqué : le SMS a été inventé par des personnes sourdes. Et aujourd'hui, tout le monde se sert du SMS.
Les rampes d'accès devant les magasins, ont été créées pour les personnes à mobilité réduite, mais servent aux mamans pour leurs poussettes, aux piétons pour leurs valises, … Ca facilite la vie !

Un autre exemple, pour une personne souffrant de problèmes de dos, une entreprise avec laquelle on travaille, a investi dans un outil électrique pour lever les palettes. Et maintenant tout le monde s’en sert et en bénéficie. Ça évite de porter à bout de bras des cartons de 20 kilos.

Tout ce qui est mis en place pour intégrer les vulnérabilités, va servir à tout le monde et va forcément améliorer la performance. Et cela s’applique bien sur au monde de l’entreprise. Le sur-mesure bénéficie à tous et le terme « mettre l’humain au cœur de la stratégie » prend ici tout son sens.

Il faut complètement sortir le sujet du caritatif, du compassionnel et même de celui de la RSE, juste pour dire qu'en fait, une entreprise a besoin d'avoir des gens motivés qui ont envie de donner le meilleur d’eux-mêmes, pour être performante. Se sentir bien et épanouis dans leur job en fait.

Le handicap, c'est un mot que j'aimerais voir disparaître de notre vocabulaire. Je préférerais que l'on parle de besoins spécifiques.
Nous avons tous des besoins spécifiques à un moment donné de notre vie, de manière durable ou pas, de manière linéaire ou évolutive.
Une femme enceinte, les trois derniers mois de sa grossesse, elle a des besoins spécifiques. Au travail, elle ne va peut-être pas pouvoir faire les mêmes choses que quand elle n'est pas enceinte. Une personne souffrant d’une maladie chronique, qui commence à avoir des problèmes de dos, que ça dure ou pas, à un moment donné, il aura des besoins spécifiques. Et finalement, quand on aborde cette question sous ce prisme, on se rend compte que tout est possible.

Le rôle des DRH consiste à faire en sorte que leur stratégie soit adaptée à tout le monde, quel que soit le parcours, le moment du parcours de la personne, dans son évolution professionnelle, dans son embauche, dans son intégration…
Finalement, il n’y a pas de handicap, c'est l'environnement qui le créé et met des obstacles.
L'acceptation avec un grand A, c'est la base du progrès. Plus on va accepter l'autre, plus on va s'accepter soi-même, plus on va progresser. Chacun doit devenir acteur de son parcours. Etant concernée, j’ai pris l’initiative de publier un post sur Linkedin pour dire que l’acceptation de ma fragilité a été essentielle dans mon parcours. Je suis fière de m’être battue et je suis fière d’avoir obtenu une RQTH ;)

Eve :
Comment faire changer le regard des managers sur le handicap

Lucie :
D'abord, quels que soient le secteur d’activité, la culture et la taille de l’entreprise, il faut que le sujet soit porté par le plus haut de l'entreprise. Si le sujet n'est pas un sujet stratégique pour le top management, ça va être très compliqué d’avancer efficacement. L’une des qualités d’un bon manager, c’est de montrer l’exemple.

Beaucoup de managers n'ont aucun objectif concret sur ces sujets-là et ils ne savent pas ce que fait la mission handicap. Communiquer sur le rôle et les actions de la mission handicap est essentiel.

Plus la politique handicap va être portée et connue, plus les personnes concernées qui auront des besoins spécifiques vont demander à en bénéficier et cela va permettre aussi d’ouvrir le dialogue au sein de l'équipe.

Lorsque le manager connaît la politique handicap et se l’approprie, il va intégrer des personnes qu'il a recrutées parce qu'elles ont le profil, la motivation et les compétences. Il saura que cette personne pourra bénéficier d’un aménagement de son poste s’il en a besoin (matériel, humain, managérial, …).

Lors de l’intégration, si la personne recrutée est d'accord, elle pourra échanger avec l'équipe et leur expliquer ses problématiques.

Libérer la parole au sein de l’équipe va permettre d’aborder le sujet des besoins spécifiques. Les autres membres de l’équipe vont pouvoir plus facilement exprimer cette demande. L'équipe va s'organiser différemment et finalement, l’organisation du travail plus agile. Tout le monde va être mieux et la productivité améliorée.

Pour moi, le rôle du manager est central dans l'emploi des travailleurs handicapés mais le sujet doit aussi être porté par le top management. Je pense même qu’il faudrait que des formations sur ces sujets soient obligatoires pour les managers.

Eve :

Quels sont les freins que peuvent avoir les membres de l’équipe à accueillir une personne en situation de handicap ? Est ce qu'on pourrait les lister ?

Lucie :
L'appréhension.
Le sujet peut être anxiogène pour certaines personnes et créer une situation de malaise, une réaction de défense ou de protection.

La peur de « mal faire »
« Comment je vais me comporter ? Moi, je ne sais pas faire, je vais faire des gaffes, ça va le vexer… » Ce sont des projections basées sur des idées reçues et sur un manque d'information qui vont déclencher ce malaise.

La jalousie, la rivalité
« Cette personne va avoir des avantages et pas nous. »

La performance
Le collaborateur peut aussi penser que son collègue en situation de handicap sera moins compétent. « Je vais devoir faire son boulot »

Pour moi, ça me semble aujourd'hui tellement ahurissant d'entendre ça, c'est complètement faux. Dans les pays anglo-saxons, ces sujets-là ne se posent même pas.


Eve :
Comment déconstruire ces préjugés ?

Lucie :
Informer, former, sensibiliser.
La sensibilisation, c'est la base d'une politique handicap.
Chaque collaborateur doit se sentir concerné par le sujet. Et il faut mettre en place tout ce qui va permettre de créer un climat de confiance : communiquer, expliquer, emporter tout le monde.
Pour arriver avec une hache et tout débroussailler, il faut créer le dialogue. Ça peut passer par l'intervention d'un consultant extérieur, un psychologue du travail, des RH, de la mission handicap, le management.
Mais je suis convaincue qu'il n'y a rien qui remplace le fait que la personne concernée explique et soit actrice de son parcours.

Besoins Spécifiques
La question « Est ce que vous avez besoin d'aménagement particulier ? » devrait être posée à tous les candidats. Le fait d'avoir un collaborateur qui a besoin d’un aménagement spécifique, cela peut ouvrir la porte, et d’autres membres de l’équipe pourront peut-être eux aussi en bénéficier. C’est un cercle vertueux et vu le contexte tendu du marché de l’emploi, la remise en cause de nombreux process RH va être essentielle pour attirer les meilleurs profils.

Sentiment d’iniquité
Pour déconstruire le sentiment d’iniquité que peut ressentir un collaborateur jaloux, on peut lui faire comprendre que peut-être qu’un jour, lui aussi va pouvoir en bénéficier.
« Je peux compter sur l'entreprise pour me soutenir en cas de besoin. Et ça, ça n'a pas de prix. »
La responsabilité des DRH, c'est aussi de faire en sorte d’engager les collaborateurs et d’attirer des candidats. Les bons profils parce vont préférer rejoindre une entreprise qui prend soin de tous ces collaborateurs, qui les accompagne.

Peur des maladresses
La première recommandation, c'est d'être soi-même, se comporter comme avec n’importe quel nouveau collaborateur. On est sympa, on l'accueille, on lui montre les bureaux, la machine à café... On peut aussi dire à cette personne « Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas ». Être sympa, en fait, avoir un comportement naturel. C’est une question de bon sens.
Quelqu'un qui est en fauteuil roulant et qui doit passer une porte battante pas accessible, on lui ouvre la porte. C'est du savoir vivre.
Bien sûr, il y a des handicaps plus complexes, notamment le handicap psychique qui nécessite une sensibilisation des salariés.
Ce type de handicap est plus tabou, mais on progresse et il existe des dispositifs de sensibilisation sur les comportements à adopter.

Préjugés sur la performance
Il est important de faire comprendre aux collaborateurs que ces personnes-là ont été recrutées parce qu'elles ont les expertises et les compétences requises et que c'est juste pour pouvoir les exercer dans de bonnes conditions que les aménagements sont mis en place.
Déjà dans 90 % des cas, aucun aménagement de poste n’est nécessaire.
Et s’il y en a, c'est pour une bonne raison, cela va permettre à la personne d'exercer son job comme eux, dans les mêmes conditions.
En général, quand j'ai une charge de travail supplémentaire, c'est quand mes collègues sont en vacances, et pas quand j'ai un collègue qui est malade, à côté de moi et qui travaille.
Un aménagement lui permet d'être aussi compétent que moi, mais c’est tout. Il a été recruté comme n'importe qui d’autre, sur ses compétences.

Eve :
Avez-vous un message ou un dernier conseil à partager ?

Lucie :
C’est la rencontre qui change tout.
Plus on va rencontrer les gens, plus on va libérer la parole, plus ça va être simple finalement. Particulièrement sur des handicaps compliqués. Et chez Hello Handicap, c'est précisément ce que l'on adore. Les recruteurs nous disent après chaque édition « J'ai eu des échanges géniaux. J'ai eu des profils incroyables. Jamais je n’aurais imaginé que des travailleurs handicapés avaient des parcours et des profils aussi qualifiés … » C'est comme ça qu'on change les mentalités, en se confrontant à la réalité.


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