S servane et yannick

INTERVIEW SERVANE CHAUVEL ET YANNICK KUSY - association ARPEJEH

Par LES APERETTES

Servane Chauvel, déléguée générale de l'association arpejeh et Yannick Kusy responsable communication et porte-parole ont accepté de répondre à nos questions pour changer le regard des managers sur le handicap.

SERVANE :
La mission de l'association arpejeh, c’est de créer du lien entre les employeurs (entreprises ou services publics) et les jeunes (de 15 à 30 ans) en situation de handicap.

Notre association a été créée à l’origine par 5 entreprises. L’objectif de ces 5 grands groupes était de trouver un moyen de répondre à l'obligation d'emploi de 6% de travailleurs, pas seulement pour remplir des quotas, mais pour faire en sorte que des jeunes aillent le plus loin possible dans leurs études.

Le constat de base a été de se dire que pour emmener les jeunes à aller plus loin, on pouvait déjà les aider à trouver un stage de troisième, un stage qui les inspire, qui les fasse aussi rencontrer le monde professionnel, qui, à son tour, aura moins d'appréhension et de préjugés pour accueillir des personnes issues de la diversité.

Dès lors qu'ils ont un dossier à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), les jeunes en situation de handicap peuvent bénéficier gratuitement et librement de notre dispositif.

Aujourd’hui, notre équipe, constituée de 15 personnes, bénéficie d’un réseau de 150 employeurs privés et publics en Ile de France, dans les Hauts de France, en Rhône-Alpes, en Bretagne et sur une partie de l'Occitanie.

Tout au long de l'année, nous organisons des visites dans les entreprises et services pour rapprocher les professionnels et les jeunes. Nous aidons les jeunes à trouver un stage, une alternance, un emploi. Nous trouvons aussi des mentors pour les plus de 18 ans et enfin nous réalisons des ateliers CV, lettres de motivation.

Nous avons aussi comme objectif de sensibiliser tous les salariés ou collaborateurs qui vont s'engager à nos côtés au sujet du handicap, que ce soit en donnant de leur temps pour parler de leur métier, pour accueillir un stagiaire ou être mentor…

C'est aussi une manière d’amener ces employés à la réalité de la diversité, de façon très concrète, très pragmatique.

EVE :
Avez-vous des exemples de cas concrets de rencontres et de lien qui se sont avérés être de belles histoires

SERVANE :
Des recrutements, il y en a tous les jours, plus ou moins directement.
Par exemple, quand un RH, sans offre d'emploi et sans envie particulière, vient coacher un jeune, et qu’à l’issu de l’entretien (qui ne devait être qu’un entrainement), le jeune se fait recruter.

J’ai aussi envie de partager l’histoire de Uzma, une jeune fille que l’on a accompagnée à plusieurs reprises.
A la fin de ses études, elle a créé une entreprise adaptée dans le conseil RH. Elle est revenue vers nous pour nous remercier, nous dire que notre accompagnement lui avait permis de construire son parcours et qu’à son tour, en tant qu'entrepreneure, elle souhaitait rejoindre arpejeh. Elle a donc rejoint, elle aussi, la liste des 150 entreprises engagées.
Pour nous, cela signifie que la boucle est bouclée.

YANNICK :
Une autre belle histoire : celle d’un jeune qui manquait d’assurance et venait pour prendre confiance en lui. Mehdi, un de nos meilleurs correspondants RH lui a fait passer son coaching pro.

Dès le début du coaching, Mehdi a été très cash. Avant même de se présenter, il l’a chalengé sur sa posture, sa manière de se présenter… Il l’a carrément secoué mais avec beaucoup de bienveillance. Ce coaching a véritablement transformé le jeune.

Puis en octobre dernier, nous avons organisé un événement inspirant en présence de Frédéric Bedos. Nous souhaitions donner la parole à Mehdi mais il n’était pas disponible, alors le jeune a pris son courage à deux mains, il est monté sur scène, et devant un public pendu à ses lèvres, il a expliqué avec beaucoup d’émotion et d’assurance, comment Mehdi l’avait transformé.

Et en regardant la vidéo de l’évènement, Mehdi a été à son tour bouleversé. Il a pris conscience de l’impact qu’il avait eu dans la vie de ce jeune. Il a réalisé ce qu’il était capable de créer comme changement chez un jeune en donnant 1 heure de son temps.
Voilà le genre d’impact que peut avoir chaque petite goutte d'eau, chaque graine qui est semée.

EVE :
Quels sont les principaux freins que peuvent avoir les managers ? Et que préconisez-vous pour les déconstruire ?

SERVANE :
Le premier frein, c'est la méconnaissance. C’est la raison pour laquelle nous organisons des rencontres pour créer du lien.
N’importe quel salarié intégrant vos équipes pourrait être difficile à gérer.
Nous nous sommes tous plantés à un moment dans des recrutements, que ce soit avec une personne en situation de handicap ou pas. Il n’existe pas plus de risques de se tromper lorsque le handicap est présent.

Parfois, les gens peuvent être excellents en entretien d'embauche, mais cela ne signifie pas qu'ils seront une bonne personne à embaucher dans l'entreprise.
C'est pourquoi il est important pour les managers de parler du sujet de l'équité et de l'égalité dans l'entreprise.

YANNICK :
Un autre sujet important est celui des personnes salariées en interne qui peuvent être confrontées à un handicap ou un accident au cours de leur vie, et qui doivent alors faire reconnaître leur situation. Dans ce cas également, il est essentiel de rassurer les managers et de leur expliquer que la personne n'a fondamentalement pas changé. Bien sûr, elle peut avoir besoin d'aménagements spécifiques, mais cela relève du rôle du médecin du travail et de l'entreprise de les mettre en place. L'important est de souligner que la personne sait toujours faire son travail et peut avoir simplement besoin de quelques ajustements pour continuer à être efficace. Dans tous les cas, il est essentiel de faire vivre cette expérience aux managers et de leur montrer que les craintes peuvent venir d'eux-mêmes. Il est important de se mettre à la place de l'autre, de voir l'impact de ses peurs et de réaliser qu'elles peuvent parfois être infondées. En définitive, c'est en travaillant ensemble que l'on peut faire progresser la diversité et l'inclusion en entreprise.

EVE
Votre mission consiste à créer des ponts entre les personnes, à travers les rencontres que vous organisez. C'est une belle façon d'ouvrir les yeux.

SERVANE
Notre punchline « Des rencontres qui font grandir les talents » est axée sur les rencontres qui stimulent, et il est crucial de considérer cela dans les deux sens. D'une part, cela permet de faire progresser les jeunes talents, mais d'autre part, il est tout aussi important d'appliquer cette philosophie aux talents des employés. Chaque fois qu'un salarié s'engage dans une action arpejeh, cela implique une prise de conscience qui ne manquera pas de modifier son point de vue, ce qui est précisément l'objectif recherché. De plus, cela permet également aux employés de devenir des ambassadeurs de l'initiative auprès de leurs collègues, car nombreux sont ceux qui reviennent en disant "Je vais recommander la prochaine action à mes collègues, c'était vraiment génial".

EVE
Quelles actions doivent être mises en place pour accueillir sereinement une personne en situation de handicap ?

SERVANE
Il est évident que le processus de recrutement devrait se dérouler de la même manière que pour tout autre candidat. La question des aménagements particuliers doit être abordée ensuite. Le rôle du manager est également de discuter avec le candidat embauché de la manière dont il souhaite parler de sa situation de handicap à ses futurs collègues. Il faut être à la fois transparent et respectueux de la vie privée du salarié. Les managers n'ont pas nécessairement besoin de connaître la situation de handicap et ce n'est pas à eux de la divulguer aux équipes. Cependant, comme pour tout rôle de manager, il est important de discuter avec les salariés de la manière dont ils souhaitent aborder leur situation. En tant que dirigeant-manager, nous portons tous un message particulier. Si nous considérons que le handicap n'est pas un sujet et qu'il n'y a pas de problème, cela se reflétera dans notre communication et notre attitude. Il est donc essentiel que les managers vivent vraiment cette expérience pour véhiculer un message positif.

YANNICK
Je pense que les managers ont besoin d'exemples concrets, de belles histoires, pour rassurer les équipes lorsqu'il y a lieu d'être avec elles. Ils doivent avoir vécu des expériences avec des jeunes ou des salariés différents pour comprendre et s'inspirer. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'être constamment formé et surinformé, même si c'est important. Il est important de combiner les connaissances avec des expériences vécues.

EVE
Avez-vous un message à faire passer ?

YANNICK
Pour rebondir sur ce que disait Servane, il serait intéressant de poser la question dans l'autre sens, c'est à dire se demander “comment faire pour que n'importe quelle personne en situation de handicap ou pas soit apte à travailler dans mon équipe”. Le but serait que le handicap ne soit pas un sujet
La vraie question que doit se poser le manager est la suivante : "Est-ce que demain, je pourrais accueillir n'importe qui pour travailler dans mon entreprise, peu importe sa particularité ou non, sans que cela ne soit un événement ?" Voilà le message, il faut aller vers l'accessibilité en amont pour pouvoir éviter de se poser des questions et de s'inquiéter par la suite.

En ce qui concerne les inquiétudes des managers, la question financière les préoccupe forcément. "Combien cela va-t-il me coûter ? ». Cette image stéréotypée de la personne en situation de handicap qui arrive avec son équipement est fausse. Il y a beaucoup de personnes en situation de handicap qui sont invisibles. Sur 100 personnes en situation de handicap, on en compte seulement deux en fauteuil roulant. Le handicap peut aussi correspondre à une maladie chronique, un trouble DYS, ou une simple difficulté à se concentrer…

Ainsi, l'idée que l'employeur doit forcément acheter des équipements coûteux est un fantasme. Il suffit de s'y intéresser un peu et on voit très vite que cela est finançable et facile à faire, si c'est nécessaire. Mais cela ne se produira pas forcément.

Donc le message est de réfléchir en amont sans penser au handicap de manière stéréotypée, mais plutôt à l'accessibilité pour tous. Voilà, c'est aussi simple que ça.

Notre programme de formation pour changer le regard des managers sur le handicap.