TOTALENERGIES

Interview Morgane Dréan et Stéphane Labille - MIssion handicap TOTALENERGIES

Par LES APERETTES

Morgane Dréan et Stéphane Labille travaillent tous les deux au sein de la compagnie TotalEnergies, l'une à la mission handicap dans l’équipe de Christine Hamot, le second au pôle recrutement auprès de Thomas Fell. Morgane accompagne Christine Hamot sur le pilotage de la politique handicap de manière globale, en passant par les achats, la sensibilisation et la communication.
Stéphane occupe la fonction de coordinateur Recrutement & Handicap.
Il ont accepté de répondre à nos questions pour nous inspirer dans la réalisation de notre formation : Changer le regard des managers sur le handicap

Eve :
Stéphane, en quoi consiste précisément le poste de coordinateur Recrutement & Handicap que vous occupez ?

Stéphane :
J’occupe plusieurs rôles en une seule fonction.
Coordonner le sujet du handicap, c'est le faire vivre par des éléments extrêmement pratiques (sensibiliser les recruteurs et opérationnels métiers, analyser des candidatures RQTH, préconiser les adaptations des processus de recrutement, …).
Ma mission consiste surtout à sourcer, aller chercher les candidats. Contrairement à ce qui se faisait auparavant, le sujet a énormément évolué ces dernières années et on fait beaucoup plus d'approches directes. On ne se contente plus d’attendre.
La méthode du « Post & Pray » a bien vécu et la diffusion d’offres d’emplois sur les réseaux spécialisés comme Tremplin, Handicap.fr, l’Agefiph… est beaucoup moins pertinente (beaucoup de candidatures à trier et finalement peu qui correspondent).
Nous allons désormais chercher des candidats dans des milieux complètement ordinaires et non spécialisés en repérant les personnes qui expriment leur situation dans la présentation de leur profil (LinkedIn par ex.) ou l’affiche dans leur CV. (Les mentions « RQTH », « reconnu travailleur handicapé » et d’autres encore, sont d’excellents mots clés). Nous créons ainsi des requêtes en langage booléen qui génèrent un vivier quotidien. Puis nous les contactons facilement à partir du moment où le profil correspond à ce qu'on recherche.
En parallèle de ces aspects Recrutement, nous sensibilisons régulièrement nos opérationnels, à titre d’exemple, la Mission Handicap met en place un label Handi-Managers, ainsi que des sensibilisations à l’intégration dans les équipes lorsque cela s’avère pertinent. Ces actions nous permettent aussi de développer un autre vivier, celui des managers qui ont fait un pas sur le sujet.
Ainsi, nous ne nous concentrons pas uniquement sur la recherche du candidat, mais nous adoptons une approche systémique du recrutement des travailleurs handicapés, chaque action bénéficiant au projet.

Eve :
Quelles sont, selon vous, les principales idées reçues sur le handicap ? Et comment les déconstruire ?

Morgane :
Le frein majeur, pour les personnes qui ne sont pas Handi-accueillantes, doit être selon moi l’appréhension des besoins d’aménagements de postes. Cela peut faire peur.
Une bonne pratique nous avions mise en place dans le cabinet de recrutement dans lequel je travaillais précédemment, était d’afficher à la fin des mails, envoyés aux managers (dans le cadre d’un recrutement de personne en situation de handicap) « PS : aménagement de poste nécessaire ».
On s'est rendu compte qu'en ayant fait ça, on avait beaucoup plus de retours. Je pense que ça aide beaucoup les managers de savoir à quoi s’attendre.

Stéphane :
La communication c’est quand même important, que ce soit par mail ou par téléphone.
Sans qu’il y ait de rapport avec le handicap, certains managers peuvent éliminer le CV d’office tandis que d’autres ne vont pas nous répondre (à ce moment-là, c’est une question de bonnes pratiques du recrutement ordinaire).
De notre côté, nous allons essayer de rassurer le manager, en lui expliquant que lorsqu’on lui transmet un CV, c’est avant tout un bon CV ! Lorsque je sélectionne un CV, je vise à minima 80% d’adéquation avec les compétences requises pour le poste.
En dessous de 80 %, il faut savoir rediriger le candidat vers une offre où l’adéquation est optimale (car nous serions en position de discrimination positive, elle-même interdite en France et surtout contre-productive. Présenter des candidats au-delà de l’adéquation attendue par qu’ils ont un statut RQTH n’est pas vraiment judicieux et légitime).
Si on veut garder une crédibilité professionnelle, je pense qu’il faut déjà être de bons recruteurs avant de parler du sujet du handicap.
Dans le cas d’un besoin d’aménagement, nous assurons la mise en œuvre, le financement et le suivi dans la durée… (l’intégration se faisant en relais avec nos référents handicap sur le terrain).
Nous avons la chance d’être une grande compagnie, dotée d’un accord d’entreprise et d’une mission handicap dont le rôle est d’accompagner le binôme salarié-manager. Un référent handicap va prendre la suite, au moment de l’intégration, pour évaluer si tout se passe bien. La médecine du travail étant interne chez nous, aura déjà fait son œuvre en réalisant la visite d’embauche dans des délais très courts.
Donc on essaie de rassurer sur toutes les étapes du process afin qu'on ait une candidature qui tienne la route et facilite ainsi la prise de décision finale de recruter.

Eve :
Selon vous, il y a trois étapes qui sont : sélectionner de bons cv, rassurer et accompagner, c’est bien cela ?

Stéphane :
Et apporter des solutions. Et souvent les solutions, existent déjà parce que le candidat est capable de nous faire un retour d'expérience afin d’éviter de partir sur une page blanche.
Je pose souvent la question à mes candidats qu'est ce qui a déjà été mis en place auparavant en termes de communication, en termes de matériel si nécessaire, de management aussi parfois, donc d'organisation du travail pour qu'on puisse s'appuyer sur quelque chose qui a déjà été réalisé.
Tout est mis en place pour que l’intégration se passe mieux encore que sa précédente meilleure expérience.
Une fois qu'on a ça, je pense qu'on a toutes les réponses aux questions d'un manager. Tant qu'elles sont, on va dire, tangibles et concrètes.

Eve :
Quels sont les arguments pour convaincre un manager réticent de recruter une personne en situation de handicap ?

Stéphane :
Devant le refus catégorique d’un manager, quand il ne souhaite pas rencontrer une candidature, je ne cherche pas à le convaincre, mais plutôt à déconstruire ses freins, s’il y en a. Souvent, c’est le caractère atypique du parcours candidat qui bloque, surtout lorsqu’on a beaucoup d’autres candidats « ordinaires » en concurrence qui eux, ont un parcours linéaire et sans aspérités.
Si le sujet du handicap génère des peurs, des craintes, c’est à nous de rassurer.
Nous sommes là pour en discuter et pour apporter des éléments de réponse, des solutions.
Souvent, les personnes sont rassurées, ça ne veut pas dire qu'elles vont recruter, mais il y a un début. L’objectif reste la rencontre en entretien opérationnel/candidat qui souvent bascule à l’avantage de notre candidat.
A partir du moment où on a le bon profil, on va laisser de côté les problématiques qui peuvent être liées au sujet du handicap pour se concentrer d'abord sur le CV. Si à partir de là le cv ne convient pas, je peux comprendre les arguments factuels.

Eve :
Quels conseils donneriez-vous pour désamorcer des malaises et des non-dits au niveau du handicap ?

Morgane :
Je conseillerais une sensibilisation ou une formation des équipes en microcosmes.
Pour moi, la solution la plus adéquate, c'est de parler, d’être transparent.

Stéphane :
Oui, c'est la construction du climat de confiance aussi.
Et même quand on est dans un climat de confiance « ordinaire » il peut y avoir un sujet de malaise, et on se rend compte que c’est souvent lié à l'inconnu.
Il y a aussi des personnes complètement antipathiques sur le sujet du handicap. Et souvent cela vient d’une mauvaise expérience dans le passé (mal accompagnée).
En tout cas, quand j'ai des réponses négatives je décroche mon téléphone. Il faut échanger et discuter car on est certainement passé à côté de quelque chose. Ça peut permettre de crever l'abcès et à la personne de raconter son « expérience malheureuse sur le sujet ».
Notre rôle va être d’essayer de resituer les choses, de prendre du recul, en lui disant par exemple : « Je comprends que vous ayez eu une mauvaise expérience, mais c'est comme si je vous disais que j’ai recruté une personne blonde, il y a deux trois ans et comme ça s'est mal passé, je ne veux plus de « blond » dans mes équipes. »
Ça paraît ridicule comme ça, et cela redonne un peu de légèreté. Je pense qu'il ne faut pas être toujours sérieux sur un sujet comme le handicap. Au contraire, il faut y aller avec une certaine bonhomie et puis être capable de rendre les choses un peu dérisoires.
Je vais ensuite le rassurer : « Mais ma mission, c'est de réussir ce recrutement. Je n’ai pas envie que ce soit un échec. Cette personne je l'ai appelée, je lui ai fait passer un entretien, je suis allé voir comment ça se passait dans ses précédentes expériences. »
Donc il ne faut pas avoir peur parfois d'y aller. Si on prend le temps d'aller au contact de l'autre, il va rapidement comprendre qu'on est là pour le rassurer et surtout pas pour le mettre dans une situation problématique.

Eve :
Qu'avez-vous mis en place au sein de TotalEnergies pour recruter, inspirer, faire évoluer les personnes dans les meilleures conditions ? Et quelles sont les plus belles actions que vous ayez mis en place ?

Stéphane :
La proximité fonctionne énormément.
Avoir le moins d'intermédiaires possible permet d’éviter les biais cognitifs cumulés possibles.
Le mail est très utile aussi, notamment pour, le plus en amont possible, faire passer des infos entre le recruteur et le manager, comme les besoins, attentes… Cela permet aussi d’échanger sur les particularités au sens large, comme la féminisation des postes, l’ouverture à l’internationale, le handicap…
Dans ce sens, Patrick Pouyanné, notre PDG, a signé une charte d’inclusion, qui engage l’entreprise à recevoir systématiquement le candidat en situation de handicap qui correspond au mieux au poste à pourvoir.
L’engagement de notre dirigeant est aussi un argument de poids pour que nos managers participent à leur niveau à cette politique d’inclusion.
Autre chose, à l’endroit où l’on publie les offres d’emplois, sur notre site internet, nous avons ajouté une case à cocher pour que les personnes qui le souhaitent puissent être contactées en parallèle du processus par notre service. L’idée est d’anticiper leurs besoins dans le processus de recrutement.

Eve :
Est-ce que vous avez un message à faire passer ?

Stéphane :
Ce serait un message interne pour nos managers :
« Recevez en entretien métier le candidat qu'on vous transmet. Pourquoi ? Parce qu'on a fait un job en amont personnalisé et de haute qualité. Jouez le jeu en donnant de votre temps, car au pire des cas, vous n’aurez perdu que le temps d’une rencontre, mais aurez participé à faire avancer le sujet ! »
L'entretien, on dit que c'est vraiment l'élément déclencheur du recrutement, cela permet d'humaniser un cv et de passer d’une représentation parfois fictive à une réalité humaine.
Pour parler chiffres, nous avons un KPI à partager, 70 % des candidats en situation de handicap déclarés reçus en entretien par le métier sont finalement recrutés. Le niveau de transformation est largement supérieur à un recrutement ordinaire. Voilà de quoi susciter de la réflexion et bannir les a priori.

Morgane:
Les personnes en situation de handicap sont des candidats très motivés parce qu’ils veulent vraiment le poste. Le plus important ce sont les soft skills car on peut facilement monter en compétences
Avoir une personne motivée, ça change tout.

FORMATION Changer le regard des managers sur le handicap.