Conférencière, animatrice TV et auteur, Virginie Delalande inspire par son parcours, sa détermination et ses actions.
Sourde profonde de naissance, elle s’est toujours battue pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés, en étant là où on ne l’attendait pas.
Dans cette interview, Virginie partage sa vision, ses conseils et nous inspire pour que chacun d’entre nous regarde le handicap différemment.
Eve :
Quel conseil donneriez-vous aux personnes en situation de handicap pour avoir confiance et gagner des forces ?
Virginie :
Alors, mon premier conseil, c’est de ne jamais accepter de laisser les autres vous mettre des limites que vous ne vous mettez pas, vous ! Parfois, nous sommes certains de pouvoir faire quelque chose, mais d'autres nous imposent leur vision négative des choses.
ll ne faut pas accepter cela.
La deuxième chose c’est de ne jamais laisser les autres décider de votre vie à votre place. Vous aussi, vous avez des rêves, des passions, des hobbies. Allez-y ! Écoutez votre cœur. Et même si vous n’y arrivez pas forcément du premier coup, comme vous en avez très envie, vous allez finir à un moment donné par trouver le moyen d’y arriver. C’est ainsi que vous allez vous épanouir, que vous allez aimer votre singularité.
Vous devez sortir du statut passif ou du statut de victime et c’est ainsi que vous ferez la différence vis-à-vis des autres en devenant un modèle
Prenez aussi des rôles modèles qui vous ressemblent. Comme ça, vous vous inspirez de leurs parcours, et de comment ils en sont arrivés là. Cela va vous permettre de gagner du temps et d’avoir confiance en vous.
Eve :
Comment faire et qu’est-ce que cela va leur apporter d'être totalement épanoui ?
Virginie :
Cela va créer un chemin possible.
Cela peut être très difficile quand on est le seul en situation de handicap dans son entourage. On n’a pas forcément de personnes pour témoigner de son vécu pour réussir, pour avoir de l’ambition, pour gagner de l’argent. Du coup, on est un peu tout seul sur le chemin et on a l’impression qu’on n’y a pas droit.
En prenant un rôle modèle, on observe comment il a fait, son parcours... Cela peut nous donner des idées et des arguments pour empêcher que les autres nous mettent des barrières.
Ça nous donne aussi un moteur parce qu’on a enfin de l’espoir ! On s’autorise à exprimer qui on est vraiment, dans notre singularité ! On cesse d’avoir honte, de cacher, de minimiser… On est comme on est, point ! Et comme les autres, on a des inconvénients mais aussi des atouts, et c’est pour nos atouts que les autres vont venir vers nous (sagesse, empathie, qualités d’écoute, résilience, esprit positif etc.)
Eve :
Votre mission consiste à changer le regard de la société sur la. Comment vous y prenez-vous ?
Virginie :
J’ai plusieurs manières de m'y prendre.
La première c’est au travers de mon livre.
Pourquoi ? Parce que beaucoup de gens m’ont demandé comment j’en suis arrivée là où j’en suis aujourd’hui…Quelles étaient les clés qui m’avaient permis de m’en sortir…Quels étaient les messages à faire passer aux parents pour aider leur enfant en situation de handicap. Comment s’en sortir dans la vie professionnelle etc. J’ai aussi abordé des sujets tabous comme la relation amoureuse, les enfants…
Et j’ai bien évidemment rappelé que quand le handicap est d'origine génétique, il existe des risques de transmettre ces gênes à ses enfants. C’est ce qu’il s’est passé dans mon cas.
La transmission du handicap, en connaissance de cause, est aussi un sujet tabou.
Le deuxième élément, c'est la conférence.
En effet, le livre n'est adressé qu'aux personnes qui aiment lire et qui peuvent lire. La conférence est donc la meilleure manière de s'adresser à tout le monde.
J’anime également une émission de télévision qui a pour objectif d’inspirer à double titre les téléspectateurs :
- Tout d’abord parce que l’émission est animée par une personne en situation de handicap, une personne sourde en plus.
- Ensuite parce que chaque invité est une personne qui doit inspirer au travers d'un handicap, d’une forme de diversité ou d’un parcours inspirant.
On se rend compte à travers l'émission, que nous sommes tous différents et que c'est justement notre différence qui fait notre richesse à partir du moment où on l’assume et on en fait une force
Eve :
Si vous aviez une baguette magique, que feriez-vous ?
Virginie :
Si j'avais une baguette magique, je ferais disparaître la peur parce que c'est la peur de la différence qui crée des conflits, qui nous empêche de réaliser nos rêves, qui empêche le lien entre les gens et qui nous bloque.
Eve :
Est-ce que vous pouvez partager votre plus grande fierté de votre vie, tous les sujets confondus ?
Virginie :
Ma plus grande fierté c'est d'aller là où on ne m'attendait pas.
On m'a dit : « vous ne parlerez jamais » mais j'ai parlé.
Puis on m'a dit : « vous n'apprendrez jamais ni à lire ni à écrire » mais j'ai appris à lire et écrire.
On m’a encore dit « vous n'aurez pas le Bac et n'atteindrez pas la carrière d'avocate », « vous ne vous marierez pas » et « vous n'aurez pas d'enfants » … mais je suis toujours là où on ne m'attend pas.
Au début, je l'ai fait pour me prouver que j’étais capable de tout, mais maintenant c’est parce que j'en ai envie et que je ne vois pas où est le problème.
Cela m'amuse, et peu importe le regard des autres et tout ce qu'ils me disent ou pensent, c'est vraiment moi, avec moi-même.
Et je crois que ma plus belle revanche c'est de ne plus me préoccuper du regard des autres et de vivre ma vie de manière libre.
Eve :
Y a-t-il quelque chose que vous auriez fait autrement ?
Virginie :
Oui, c’est de me faire confiance plus tôt et d’être rebelle plus tôt, parce que pendant très longtemps j'ai eu tellement peu confiance en moi, que je faisais exactement ce que les autres attendaient de moi. Mais en réalité, cela me demandait tellement d'efforts pour m’adapter., Je n’étais pas vraiment moi-même, j'étais malheureuse, je cherchais ma vraie place.
Si j'avais été une vraie rebelle en envoyant tout le monde balader, quand j'avais l'impression qu'on touchait à ma dignité, qu'on touchait à mes valeurs… je ne serais pas descendue aussi bas en termes de dépression, en termes de posture victimaire.
C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, j'essaie de faire passer ce message, de dire que vous avez raison dès le début, que les autres ne sont pas vous et qu’il faut voir la vie par rapport à nos regards, par rapport à nos expériences, par rapport à nos croyances. Forcément, comme les autres ne sont pas dans notre peau, ils ne peuvent pas imaginer que les choses soient possibles pour nous.
En réalité, vous les renvoyez en permanence à leurs peurs, leurs limites, qui ne sont que des limites dans leur tête à eux. Et vous, vous avez déjà compris cela (vous avez des connaissances qu'ils n'ont pas, vous avez peut-être aussi un relationnel qu'ils n'ont pas et qui vous permettra d’y arriver).
Rienn'est jamais écrit d’avance et il faut oser expérimenter. On trouvera toujours une solution pour réaliser nos rêves !
Eve :
Pourriez-vous partager un mantra ?
Virginie :
Alors, moi j’en ai un qui me nourrit profondément : je ne suis pas ce qu’il m’arrive, je suis ce que je choisis d’être.
Eve :
Est-ce que vous avez un message à faire passer ?
Virginie :
Prenez la lumière, prenez votre place.
Autorisez-vous à être qui vous êtes vraiment, à tutoyer les étoiles, vos étoiles à vous, vos rêves.
Allez-y parce qu’en fait, ce sont les personnes qui prennent la lumière et la parole qui construisent le monde de demain. Et justement, si vous voulez que le monde de demain vous ressemble, il va falloir y mettre du vôtre aussi.
On a besoin de plus de gens comme nous : en situation de handicap, avec de belles valeurs comme l’empathie, la générosité, la solidarité, la créativité, la capacité d’adaptation...
Ce sont des valeurs dont tout le monde a besoin aujourd’hui et de plus en plus. Il faut des personnes pour l’apporter, et nous, les personnes en situation de handicap plus que jamais, nous avons pleinement notre place.
Eve :
Si vous aviez à donner un déclic à n'importe quelle personne dans une situation difficile, lorsqu'elle se sent au fond, triste et dans un trou noir, est-ce que vous avez un petit tip à partager ?
Virginie :
Prends soin de toi, cherche à comprendre le message caché derrière tes émotions et à te connaître vraiment, reprends ta vie en main et écarte de ta route tous ceux qui te tirent vers le bas (surtout quand ce sont des proches)
Pour regarder l'émission B'Inspired présentée par Virginie
Eve :
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et que vous aimeriez que je vous pose ou que vous aimeriez répondre ?
Virginie :
Peut-être une question qui est un peu tabou : quand on a un handicap, faut-il avoir des enfants ou pas ?
Dans mon cas, j’ai des enfants qui partagent mon handicap. Alors déjà ce n’est pas parce qu’on est en situation de handicap qu’on n’a pas le droit et qu’on ne mérite pas d’avoir des enfants. Justement on va leur apporter toutes les belles valeurs et ce que la vie nous a permis de développer grâce à notre différence.
D’autre part, il faut également être conscient que nous n’avons pas à faire porter notre handicap à nos enfants. C'est à nous en tant qu'adultes de mettre en place tout ce qui est nécessaire pour que nos handicaps ne les accablent pas et qu'ils puissent vivre une vie d'enfant normale.
Et surtout, avoir un handicap m'a appris quelque chose de très important que je veux partager : quand on vit avec un handicap, on est souvent la meilleure personne pour s'occuper de quelqu'un qui en a un aussi, parce que :
1/ on connait déjà les meilleurs professionnels et ce qu’il faut pour les accompagner d’un point de vue médical et de prise en charge.
2/ notre handicap nous a permis de vivre par anticipation les besoins et les difficultés que nos enfants vont vivre, et de savoir comment l’y préparer et l’accompagner au mieux. On va anticiper les difficultés que nos enfants pourraient rencontrer et sensibiliser notre entourage, car on a déjà vécu ces situations et on sait ce qu'il faut faire ou éviter.
Cela signifie que nos enfants n'auront jamais la même vie que nous.
3/ on n’a aucune inquiétude quant à leur avenir car on sait, pour le vivre, qu’ils peuvent réussir…
= pas de panique face à la découverte, pas d’errance médicale, une vraie compréhension de ce qu’ils peuvent vivre, des astuces à partager, et un regard d’amour qui n’est pas abimé par le handicap ou le regard que les autres portent sur le handicap (on partage le même ! Ca crée même à l’inverse une forme de complicité !)
La quatrième chose, à titre professionnel, j'ai été considérée comme une référence par des parents et des professionnels, car mes enfants sont parfaitement intégrés et épanouis malgré leur handicap. Ils ont réussi à parler tôt, à arrêter les séances d’orthophonietôt et à avoir une vie "normale", en étant épanouis. Ils se projettent dans l'avenir et voient leur vie amoureuse et leur vie professionnelle réussie.
D’un point de vue psychologique, cela fait vraiment toute la différence.
De plus, grâce à un accompagnement adapté, mes enfants ont réussi à briller à l'école : mon filsa obtenu une mention Très Bien au Bac et ma fille a obtenu une mention Très Bien au Brevet. Ils suivent parfaitement les cours et ont réussi à atteindre un niveau élitiste. Cela montre bien que le handicap n'a rien à voir avec l'intelligence : on peut être en situation de handicap et être intelligent, brillant et capable. Même si cela peut sembler improbable pour beaucoup, cela est possible. Il suffit de savoir comment faire!
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