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Interview de Stéphanie Roland-Gosselin, directrice de l'association ACCES

Par LES APÉRETTES

Eve :
Pouvez-vous vous présenter et parler des missions de votre association ?

Stéphanie :
L’objectif de l'association ACCES est d’intégrer en milieu ordinaire de travail des personnes en situation de handicap mental ou cognitif.
Nous accompagnons de façon personnalisée chaque jeune pour qu’il accède à un travail et le maintenir à son poste ou dans son évolution.
Mon fils a une trisomie 21, on l’a toujours mis en milieu ordinaire jusqu'en ULIS lycée. Et à la fin de l'ULIS lycée, nous nous sommes retrouvés face à une rupture, parce qu'il n'y avait pas de formation adaptée. Pourtant, nous souhaitions qu’il travaille en milieu ordinaire. Lors des différents stages qu’il avait réalisés, il a montré son envie et sa détermination de travailler en milieu ordinaire.
Néanmoins, en tant que parents, nous ne pouvions plus être les interlocuteurs de l'entreprise. Nous avons débuté ainsi, en faisant appel à des professionnels, des éducateurs spécialisés ou des psychologues. Et nous sommes allés à la rencontre des entreprises pour leur dire « Voilà, vous avez un éducateur qui va pouvoir passer toutes les semaines et lui permettre de s’intégrer et de comprendre les exigences de l’entreprise. En lui apprenant, en lui montrant les gestes et par la répétition, nous lui permettons d’acquérir les compétences requises pour son poste».
Notre fils a commencé à travailler dans un restaurant d'école, en tant qu’agent polyvalent de restauration. On lui a appris chaque tâche dans la répétition en passant régulièrement le voir sur son lieu de travail et en sensibilisant l'équipe qui l'accueillait. C’est ainsi qu’il a été embauché en CDI.

Aujourd’hui notre association (acces) accompagne 32 jeunes dans leur insertion en milieu ordinaire. Et nous avons de plus en plus de demandes.
L’expérience nous a ainsi permis, depuis 2015, de consolider notre savoir-faire.
Désormais, notre offre s'articule autour de 2 axes:
- L’accompagnement en entreprise et de l’acquisition des compétences par les jeunes et d’une sensibilisation au sein de l’entreprise
L’entreprise doit être accompagnée pour que l’intégration fonctionne.
Nous connaissons les jeunes que nous suivons et nous aidons l’intégration de chacun d’eux au cas par cas en communiquant à la fois avec eux et avec les entreprises.
Les personnes atteintes de cette déficience intellectuelle (la trisomie 21) ont besoin de se mettre en situation pour vivre les choses et mieux les comprendre. Pour monter en compétences, ces jeunes ont besoin d’apprendre les gestes, de répéter les tâches et de les assimiler.
Ces jeunes commencent souvent par un stage ou une alternance et beaucoup décrochent des CDI.
C'est ça la magie de la rencontre. Une fois que vous avez fait connaissance et compris un peu comment la personne fonctionne, tout devient plus facile.
Et nous (membres de l’association acces), nous ne sommes jamais loin, nous sommes là pour réagir très vite dans les situations de crise.
- La socialisation
Nous travaillons aussi sur ce que nous appelons la socialisation, c’est-à-dire l'autonomie et la confiance en soi. Pour cela, nous organisons des activités culturelles et des ateliers autour du travail.
Ces réunions hebdomadaires permettent aux jeunes de se retrouver, de partager leurs expériences et de prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls.

Eve :
Et comment ça se passe concrètement ?

Stéphanie :
La plupart du temps, nous sommes contactés par les familles, mais il arrive que les entreprises viennent nous demander directement de l’aide.
Par exemple, la SNCF a fait appel à nous récemment afin de réfléchir à la mobilité d’un jeune homme qui était aux services généraux et dont la charge de travail avait diminué. Leur volonté était de le faire évoluer dans un autre département. Nous avons effectué un accompagnement personnalisé et nous sommes allés à la rencontre des équipes pour proposer des services et voir ce qui pourrait être fait.

Le fait de pouvoir bouger, changer de mission, c'est très formateur pour eux. Travailler en milieu ordinaire est un enjeu d'équilibre. S’intégrer et s’adapter à ce rythme représente un challenge important pour eux. Ils sont plus fatigables, et travaillent rarement à plein temps. L'entreprise doit aussi prendre en compte cette fragilité et mettre en place des aménagements.

Finalement, quand vous mettez quelqu'un qui est plus fragile dans une équipe, ça fait prendre conscience que tout le monde n’a pas forcément le même rythme. Et cela vaut pour chacun de nous, d'ailleurs. Les relations entre les membres de l’équipe sont différentes aussi. Il faut en faire l'expérience.
Très souvent lorsqu’une entreprise a tenté l’expérience, elle la renouvelle.

Eve :
Et quel est votre retour d’expérience ? Quelles sont vos préconisations ?

Stéphanie
L’accompagnement, ça fonctionne !
Le jeune et l’entreprise sont contents. C’est ce que je disais tout à l’heure, c’est la magie de la rencontre.
Je vous partage l’exemple d’une jeune alternante RQTH et de sa tutrice qui rencontraient des difficultés. Elles ont traversé des moments conflictuels et même des moments de désespoirs. Mais nous sommes intervenus et on a réussi petit à petit à faire bouger les lignes. Elles se sont senties toutes les deux prises en compte, écoutées et rassurées. Et la relation a fini par se créer.
Finalement, elles ont toutes les deux réussi.
La tutrice s’est donnée à fond et son implication pour intégrer cette jeune fille en milieu ordinaire a été reconnue et valorisée au sein de l’entreprise. Et l’alternante a pu être formée.
Lorsqu’on accueille des personnes en situation de handicap mental et cognitif, prendre en compte la charge que cela peut demander au tuteur et à l’équipe est nécessaire.
D’ailleurs, toutes ces personnes qui travaillent sur le terrain concrètement devraient être plus valorisées.
J’invite les RH et les responsables de la diversité à les encourager aussi et leur donner les moyens de pouvoir aussi les aider. L’expérience est riche mais représente aussi un véritable challenge.

Eve :
Que diriez-vous à de futurs tuteurs pour les inciter à participer à l’intégration de personnes en situation de handicap mental et cognitif ?

Stéphanie :
Tout un tas de choses.
Les compétences
Tout d’abord, ces jeunes ils ont de vraies compétences, et ils sont motivés.
La rencontre
Ensuite, ces rencontres-là, elles sont incroyables. Les collaborateurs s'en souviennent toute leur vie.
L’aide
Le challenge de pouvoir aussi donner du temps et d'être capable d'aider quelqu'un qui est plus fragile, est également extrêmement enrichissant.
La transmission
Beaucoup de ces jeunes n'ont pas accès à la formation donc il faut qu'ils apprennent sur le terrain et pour eux c’est plus facile.
Les seules formations accessibles sont essentiellement dans la restauration (CAP PSR – production service restauration et CAP Service en salle), à ma connaissance.
Mais grâce au terrain, vous allez aider un jeune à acquérir des compétences et à se former.
La solidarité au sein de l’équipe
Dans notre film de présentation (https://youtu.be/nG0S61RgV3M?feature=shared), un tuteur témoigne : faire attention à la manière de communiquer avec une personne différente, cela a changé la façon d’interagir au sein de l’équipe. L’ambiance et les conditions de travail sont devenues beaucoup plus agréables et des liens se sont créés.
À partir du moment où vous prenez en compte une personne plus fragile, ça fédère une équipe.
Moi, je vois plein d'équipes qui sont vraiment touchées d'avoir pu prendre part à la formation d’une personne différente.

Eve :
Que diriez-vous pour lever les réticences ?

Stéphanie :
Déjà, je conseille de commencer toujours par un stage.
Cela permet déjà au jeune de découvrir un métier et une équipe. Les conseillers en emploi ACCES passent très régulièrement (au moins 1 fois par semaine) et si vous commencez par 1 mois de stage, il n'y a pas d'enjeux, une immersion découverte n'engage à rien.
Une autre réticence pourrait être l’appréhension, mais honnêtement, je ne sais pas pourquoi les gens ont peur.
La rencontre va tout naturellement enlever cette peur.
Osez la rencontre. Ce sera une richesse pour tout le monde. Ça vaut le coup à chaque fois.
Ces jeunes n’ont pas de filtre, ils vivent avec leur fragilité et ils en font leur force.
Je retiens toujours cette phrase de Marlène Schiappa tirée du livre «La loi de la jungle » et qui dit « Une société qui prend soin du plus fragile, c'est celle qui survit. » Elle m'a marquée cette phrase parce que je trouve que c'est exactement ce que j'ai envie de dire à une entreprise. Si vous voulez que vos équipes soient soudées, prenez soin des personnes les plus fragiles.

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