Eve :
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Laura:
Je m'appelle Laura Driancourt, je suis présidente et co-fondatrice de Projet Adelphité, une agence de conseil et stratégie en diversité et d'inclusion. Notre but consiste à mettre ces sujets au cœur du développement et de la performance des organisations avec une approche multidimensionnelle, dans le sens où nous ne travaillons pas que sur l'égalité Femmes-Hommes ou le handicap mais sur tous les sujets qui peuvent être des motifs de discriminations. Nous traitons aussi de questions LGBTQIA+, de racisme, d'âge, de classe sociale ou d'apparence physique, comme le sexisme et le validisme.
Nous accompagnons les entreprises dans les processus RH tels que les recrutements, évaluations, promotions et grilles salariales. Il faut savoir que beaucoup des cas de discriminations ne sont pas intentionnels, et c’est la raison pour laquelle nous nous appliquons à redéfinir les processus de façon à neutraliser l'impact des biais cognitifs qui sont à l’origine de ces discriminations.
Nous nous attelons à changer les processus plutôt que les humains.
Nous réalisons des missions d'accompagnements de projets parce que le manque de diversité dans les équipes, peut entraîner des angles morts dans le développement des produits et des services.
Vous voyez les robinets automatiques ?
Vous savez vous passez la main dessous et l'eau coule. Et bien, par exemple, beaucoup de ces robinets ne fonctionnent pas correctement avec les peaux foncées.
La technologie n’a pas pris en compte la carnation des personnes qui ont la peau foncée parce que les équipes d'ingénieurs qui ont développé ces produits sont des personnes blanches et ne se sont pas demandé si cela fonctionnait pour tous les types de carnations.
Typiquement nous intervenons pour éviter ce genre de problème.
Voilà un exemple industriel mais cela fonctionne sur la communication ou sur la big data pour s'assurer que les algorithmes ne reproduisent pas de nouvelles discriminations.
Et puis assez classiquement, nous proposons des sensibilisations et du coaching de manager.
Eve:
Dans le but de limiter la discrimination, c’est bien ça ?
Laura :
Nous rentrons dans une démarche de remise en question pour faire prendre conscience des mécaniques. Nous animons des ateliers avec des approches très croisées, des ateliers sur les biais cognitifs, ou des ateliers sur les micro-agressions par exemple.
Eve :
Avez-vous de belles histoires à partager sur les processus mis en place en entreprise ?
Laura :
Nous avons accompagné un studio de jeux vidéo pour une mission de recrutement.
Avant notre passage ils recevaient en moyenne 14% de candidatures féminines,
Nous avons revu toutes leurs annonces, changé les formulations, modifié les canaux de diffusion et ils sont passés de 14 à 50% de candidatures féminines.
Voilà un bel impact, une belle réussite.
Eve :
Vous avez donc reformulé l’annonce c’est cela ?
Laura :
Exactement. Afin que l'annonce soit plus attrayante pour les femmes, nous avons utilisé un langage plus inclusif. Le nombre de candidature d'hommes n’a pas diminué, en revanche le nombre de candidatures de femmes a considérablement augmenté.
Eve : Et ensuite vous les avez diffusés sur des canaux différents. Quels sont les canaux par exemple qui s’adressent le plus aux femmes ?
Laura :
Pour le secteur du jeu vidéo, on a diffusé l’annonce sur le discord de Women in Games qui est la grande association pour les femmes dans le jeu vidéo. On l’a également diffusée auprès de l'association Afrogameuses, qui représente les femmes noires dans le monde du jeu vidéo.
Eve :
Et dans le domaine du handicap vous avez une expérience à partager ?
Laura:
Oui mais il s’agit plus d’un exemple à ne pas suivre.
Tout d’abord, les personnes handicapées subissent une infantilisation qu'on ne retrouve pas, en tout cas pas à ce niveau-là, dans les autres situations de discrimination.
Très souvent, on crée des choses sans prendre en compte leurs besoins, sans prendre le temps de tout simplement leur demander.
Par exemple, dans la structure dans laquelle je travaillais avant, il y avait une équipe avec une personne en fauteuil roulant.
Lorsqu’une une aile du bâtiment a été rénovée, ils ont fait appel à un architecte et ont refusé l’aide que proposait la personne en fauteuil.
In fine, ils ont installé des cabines de d’appel avec une petite marche, empêchant l’accès à la personne en fauteuil.
Et ils ont construit une salle de réunion, tout en longueur, ne permettant pas à la personne en fauteuil de passer sur les côtés, faute de place.
Alors même que la personne en fauteuil avait proposé son aide, ils ont voulu gérer seuls avec un architecte. Voilà typiquement ce qu’il faut éviter à tout prix.
Le meilleur conseil que je puisse vous donner c'est de consulter et d’impliquer les personnes concernées.
Et c'est comme ça, en fait, que l’on continue à avancer dans une société dans laquelle l'inclusion des personnes handicapées n’avance pas. Tout simplement parce qu'on ne leur demande pas ce dont elles ont besoin.
Eve:
Je reviens maintenant sur la diversité au sens global parce que je sais ça vous tient à cœur. Selon vous quels sont les freins des managers ?
Laura:
Tout d’abord on a tendance à recruter quelqu’un qui nous ressemble.
Ensuite l'humain n'aime pas le changement c'est dans sa nature. Donc si on demande aux managers de changer leurs habitudes, des craintes et des peurs apparaissent.
Au sein de Projet Adelphité, on essaie de comprendre d'où ça vient. On explique aussi qu’il existe pléthore de types de handicaps. Le fait est que 80% des handicaps sont invisibles. Et en fait les managers n'en savent rien.
Il faut les faire sortir de cette image que le handicap c'est la personne en fauteuil !
Et la plupart des aménagements de poste sont très simples à faire en fait. Installer un fauteuil spécifique parce qu’une personne qui a des problèmes de dos (une scoliose par exemple) rentre dans la typologie d'aménagement de postes que l'entreprise doit fournir. Mais ce n'est pas beaucoup plus compliqué.
Il est nécéssaire de lutter contre tous les aprioris et tous les préjugés qui existent autour des personnes handicapées : qu’elles seraient moins intelligentes et moins productives. Encore une fois, il existe tellement de typologies de handicaps que l’on ne peut pas tirer de telles conclusions.
Les entreprises ont besoin d'être accompagnées pour qu’elles aient le réflexe de poser la question : « De quoi vous avez besoin ? »
Si on veut bien accueillir ses salariés, on est censé passer la journée avec eux, et ça prend 5 minutes de plus de demander quel aménagement est nécessaire.
Eve :
Pouvez-vous nous citer une phrase ou un mantra qui vous inspire ?
Laura:
Je vais paraphraser Bell Hooks, une autrice que j'affectionne particulièrement, qui disait : “Aucune femme ne sera véritablement libre tant qu’ on ne sera pas toutes libres ».
Cela inclut toutes les discriminations. On ne pourra pas atteindre l'égalité tant qu'il y aura des femmes qui utilisent leur race et leur classe sociale pour opprimer d'autres femmes.
Pour moi, la sororité, c'est de prendre en compte aussi les autres discriminations. On ne pourra pas avancer en diversité et inclusion tant qu'on ne regardera pas ces sujets de façon croisés parce que quand on est femme et handicapée, on n'est pas femme un jour et handicapée un autre jour, on est femme et handicapée tous les jours.
Eve :
Avez-vous un message à faire passer?
Laura :
Si je n'avais qu'un seul message à faire passer, ce serait que ça ne sert à rien d’essayer d'avoir plus de diversité dans ses équipes si on ne travaille pas sur l'inclusion. La diversité est nécessaire mais pas suffisante. Pour la compléter, il faut de l’inclusion.
Si on a une équipe diversifiée mais que rien est fait pour entendre des profils différents, ça ne sert à rien. Du ressentiment qui va naître. Mieux vaut d’abord s'assurer que l’on a un environnement inclusif et de le construire, puis chercher à avoir plus de diversité.
Notre programme de formation pour changer le regard des managers sur le handicap.