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Interview de Anne Roi, Directrice des Activités d'Unirh-Thransition

Par LES APÉRETTES

Anne :
Alors je m'appelle Anne Roi, Je suis directrice des activités d'Unirh-Thransition, un cabinet conseil associatif.
Parallèlement, j'ai une activité d’enseignement et de tutorat dans les domaines des ressources humaines et de l’action sociale. Je tutore, en particulier, de jeunes RH dont certains s'apprêtent à devenir chargés de missions handicap au sein d’entreprises.
Je forme par ailleurs des professionnels de l’insertion et de l’action sociale sur les dispositifs et acteurs du handicap en France.
J'interviens de manière bénévole également sur le domaine de la santé mentale au travail, entre autres pour la Maison Perchée une association de pairs aidants qui soutient les jeunes.
Et enfin je collabore ponctuellement avec la Ligue contre le Cancer de Paris à travers l’animation d’un atelier traitant du retour à la vie professionnelle des personnes atteintes d’un cancer et souhaitant s’informer sur leurs droits.

Eve :
Vous êtes sur tous les fronts, c'est très impressionnant. D’où vous vient cet engagement ?

Anne :
De formation RH, je recrutais des cadres sup tous plus doués les uns que les autres et je me suis dit que faire des ressources humaines, c'était aussi s'occuper des gens qui en avaient le plus besoin. Par conséquent, je me suis beaucoup intéressée au sujet de la santé, la santé psychique en particulier en faisant beaucoup de bénévolat dans ce domaine.
Puis, suite à une rencontre marquante avec un Cap Emploi (structure qui accompagne les personnes en situation de handicap), j’ai orienté mon expertise vers l’accompagnement des personnes handicapées.
C’est une question de rencontre, de passion pour le sujet de la santé et de relations humaines, et ça fait 27 ans que ça dure.
Le handicap, c’est un domaine, dans lequel on reçoit beaucoup plus qu'on ne donne.
On est présent à un moment très important de la vie des personnes.
Avec la Ligue contre le cancer, on a un atelier qui accompagne les personnes en arrêt maladie long. Ce dernier permet d’amener les personnes à se dire qu'il y a une vie professionnelle après le cancer.
Se projeter dans un avenir professionnel contribue à la guérison et augmente les chances de retourner au travail.

Eve :
Quelles sont les missions d’Unirh-thransition ?

Anne :
Unirh-thransition est un cabinet conseil avec une offre de services qui va couvrir tous les champs de la trajectoire d'une personne qui rencontre une problématique de santé depuis ses études jusqu’à la retraite.
24 personnes dont nombre d’entre-eux sont psychologues et de coach y collaborent. Ils viennent presque tous du monde de l'entreprise.
Les entreprises ont du mal à recruter des personnes en situation de handicap répondant aux compétences attendues dans les entreprises. En effet, il existe beaucoup moins de personnes diplômées et qualifiées en situation de handicap que dans la population générale.
Chez Unirh-Thransition, nous avons fait le pari de monter trois programmes avec les entreprises pour aborder le sujet du handicap dès les études.
Ces programmes permettent de s’adresser à tous les jeunes au sein des universités, dans les établissements d'enseignement supérieur, dans les CFA et dans certaines écoles plus spécifiques.
Première activité :
Une vraie course de fond que de sensibiliser les plus jeunes. Ces derniers seront probablement concernés directement ou indirectement à plusieurs égards dans leur vie personnelle mais aussi en tant que futurs managers.
Nous les rencontrons, avec les entreprises et les sensibilisons au handicap. Ils prennent ainsi connaissance des aides, politiques et dispositifs existants dans le monde économique.
Nous formons aussi gratuitement les référents handicaps des établissements afin qu’ils puissent bien accompagner les jeunes en situation de handicap lors de leurs études et pour accéder au travail.
Nous mettons également en place des lieux d’écoute dans les écoles pour soutenir les jeunes qui sont en souffrance, en situation de handicap.
Notre postulat : sensibiliser le plus grand nombre.

Deuxième activité :
En tant que centre formation, nous accompagnons les entreprises, en formant un public de RH, de référents handicap, de manager.
Nous nous adressons aussi à des acteurs de l'insertion et de l'action sociale, comme la Croix-Rouge, ou les Apprentis d'Auteuil en soutenant des « personnes qui soutiennent ».
Notre savoir-faire en matière de formation est large, nous les créons principalement à la carte. Nous délivrons également des formations en PSMM, premier secours en santé mentale.
Troisième grand pan de notre activité :
Il s’agit de l’évaluation, l'accompagnement, l'orientation, le maintien dans l'emploi de collaborateurs rencontrant un problème de santé ayant un impact sur leur trajectoire professionnelle.
Les employeurs nous interpellent lorsque quelqu'un qui a des soucis de santé, doit évoluer, se former, prendre une autre direction ou changer de carrière.
Mon équipe va dans un premier temps faire une évaluation 360° de la situation, objectiver la situation en prenant en considération le contexte de chacun. La mise en place de l’accompagnement dépendra de la première étape : bilan visant à changer d’emploi, réorientation, accompagnement de type coaching, remédiation cognitive…. Notre approche est individualisée, nous sommes de véritables « artisans »
Nous réalisons environ 300 interventions par an, toujours sur des situations très spéciales, souvent très délicates, parfois au domicile des personnes concernées.
Et enfin, nous avons un jobboard qui s'appelle Hanploi.com, que les entreprises utilisent pour recruter des personnes handicapées.

Eve :
Quels sont les principaux freins que peuvent avoir les managers pour leur recrutement ou l'intégration des personnes en situation de handicap ? Et comment les déconstruire ?

Anne :
Si un manager hésite, c’est parce qu’il a une représentation du handicap partielle ou faussée.
Il s’imagine que la personne handicapée va être toujours absente, que quelqu’un va devoir s’en occuper, qu'elle va travailler moins vite, qu'elle sera moins compétente…
Et encore, si l’étape du CV a été franchie, parce qu’il peut y avoir des trous dans son CV. Or souvent ces « trous » correspondent à des périodes pendant lesquelles cette personne était en soin ou préparait sa reconversion.
Une sensibilisation sur ces sujets reste nécessaire, car il ne faut pas s’attendre à trouver un BAC+5 avec une candidature absolument linéaire. Il y a souvent eu une vie professionnelle « avant » et une nouvelle « après ».
Le deuxième frein, c'est le recrutement. Le manager se demande comment techniquement il va s’y prendre : quelles questions peut-il poser par exemple.
Intégrer une personne en situation de handicap, demande du temps aussi, ce qui représente un investissement pour le manager.
La notion d'imprévisibilité entre aussi en compte dans les freins : « et si la personne retombait malade ? ».
A propos des personnes en situation de handicap, les managers vont d’avoir tendance à présumer de choses qui risquent d'arriver. Alors que traverser la rue et se faire renverser peut arriver à tout le monde, pas forcément plus aux personnes en situation de handicap.

Eve :
Et que préconisez-vous pour déconstruire ces idées reçues ?

Anne :
La sensibilisation intelligente et ciblée avant tout.
On ne sensibilise pas de la même manière les vendeurs des boutiques de prêt-à-porter que les chefs de chantier d’un groupe de BTP. S’il y a eu une expérience malheureuse, tout le monde va se rappeler de cela. La sensibilisation se prépare et demeure primordiale.
Un timing est nécessaire dans la mise en place d’une politique handicap.
Quand on veut intégrer quelqu’un il faut bien réfléchir au poste proposé et sensibiliser les bonnes personnes dans le bon contexte.
La sensibilisation doit permettre de bénéficier d’un socle minimal de connaissances pour être serein quand on accueille des personnes (une toolbox avec les bons contacts, les bons outils, un tuteur, des ambassadeurs).
Par exemple la PMSMP est un outil en amont du recrutement qui permet à une personne en situation de handicap de venir jusqu’à 2 mois dans l'entreprise pour rencontrer l’équipe et se familiariser avec le poste. Cet outil gratuit se met en place avec un Cap emploi, un Pôle Emploi et permet aussi avant la phase de mettre en place des aménagements, de prendre le temps de faire connaissance : sans enjeu.

Eve :
Quelles actions doivent être mises en place ?

Anne :
J’ai très rarement eu à faire à des entreprises qui ne voulaient pas recruter des personnes en situation de handicap, mais j’ai souvent rencontré des entreprises qui ne les trouvaient pas.
Il est important aussi de réfléchir ses offres de manière inclusive.
Je vais partager avec vous l’exemple d’un cabinet de conseil, Longevity qui collectivement a émis le souhait d'intégrer une personne en situation de handicap.
Nous avons réfléchi ensemble aux opportunités qui s'offraient chez eux. Le poste a été un peu adapté et ils se sont laissés la possibilité d’avoir des variables (télétravail, tâches en suspend…). Ils ont eu la capacité de bouger un peu les curseurs et prêts à changer leur manière de recruter.
Nous leur avons recommandé de rencontrer les personnes dont les CV les interpellaient de manière assez large.
Généralement, plus il y a d'étapes dans le recrutement d'une personne en situation de handicap, moins elle arrive au bout. Donc un des facteurs favorisants, c'est de très vite faire en sorte que celui avec qui la personne va travailler soit dans le process de recrutement, pour voir si ça fonctionne.
Ils ont joué le jeu et ont rencontré près de 10 personnes. Le recrutement s’est fait en 15 jours.
Nous avons également sensibilisé l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, chacun a pu poser toutes ses questions.
On peut dire que ça a été une belle intégration.

Eve :
Que recommanderiez-vous de mettre dans un Toolbox dédié au recrutement d’une personne en situation de handicap ?

Anne :
AGEFIPH pour les entreprises privées puisque derrière on y retrouve les acteurs auxquels on peut faire appel. En l'occurrence, beaucoup de choses reviendront au Cap Emploi, quelle que soit la taille de l'entreprise, la situation ou le besoin. https://www.agefiph.fr/
PMSMP, le stage préalable, préconisé par le Cap Emploi, le Pôle emploi et les missions locales.
Des P.A.S (Prestations d’Accès Spécifiques) qui permettent d’évaluer une situation au regard d’un handicap particulier. Les équipes peuvent intervenir auprès d'un collectif de travail. Les Cap emploi, les Pôle emploi peuvent orienter les personnes concernées et les employeurs
Site Handipole http://www.handipole.org
Le guide du maintien dans l'emploi du PRITH du Plan Régional d’Insertion des Travailleurs Handicapés https://www.prithidf.org
EPAAST : il s’agit d’une mesure d’ergonomie qui permet à une entreprise de faire procéder à une étude ergonomique avant d’intégrer quelqu’un. Les Cap Emploi, le pôle emploi peuvent orienter les personnes concernées et les employeurs
Pour bénéficier de ces mesures, il faut passer par un opérateur de l’emploi : CAP EMPLOI. Les services des Cap Emploi sont gratuits.
Enfin, le coût des aménagements ne doit pas être un frein parce que ce dernier est pris en charge par l’AGEFIPH, le FIPHFP, L’OETH.

Eve :
Avez-vous une success story à partager ?

Anne :
Oui j’ai une success story qui me tient à cœur. Il s’agit d’un programme qui concerne la filière de la restauration et en particulier deux métiers en tension : serveur et agent polyvalent de restauration.
Nombre d’entreprises cherchent ce type de profils en ce moment, que ce soient des personnes en situation de handicap ou pas. Quand il s’agit de sourcer des personnes en situation de handicap, c'est encore plus complexe, parce qu’elles sont plus rares et que pour travailler en cuisine ou en service, des aptitudes physiques, psychiques, sensorielles et cognitives sont nécessaires.
Ce programme existe depuis près de 7 ans et a été créé sur-mesure avec et pour le Groupe Bertrand restauration (Hippopotamus, Angélina, Léon de Bruxelles…)
Ce programme permet d’identifier des personnes en situation de handicap sans contrainte physique et porteuses d’un potentiel d’apprentissage leur permettant d’apprendre le métier via une formation en alternance
Nous avons privilégié la recherche de talents dans les ESAT. Les candidats au programme sont souvent porteurs d’une singularité psychique ou cognitive.
Le recrutement vise à évaluer leur capacité à apprendre et leur motivation plutôt que leur niveau ou leurs compétences.
Puis on propose une mise en situation dans l’entreprise, c’est-à-dire un stage de 2 semaines dans un restaurant pour voir si ça leur plait. Suite à ce stage, ils rentrent en CFA pour un contrat de professionnalisation de 12 mois.
L’employeur, le CFA et nos équipes les accompagnons tout au long du parcours. Cette approche pluridisciplinaire minimise le risque de décrochage.
A l’issue des 12 mois, ils intègrent le Groupe Bertrand, continuent leurs études où décident de rejoindre la restauration traditionnelle.

Eve :
Vous créez un vivier de personnes que vous allez chercher, que vous allez former, que vous allez intégrer. C’est un investissement sur le long terme.

Anne :
C'est du sur-mesure et on ne le fait pas tout seul. C'est vraiment une dynamique globale.
Nous mettons en place des programmes similaires pour d’autres entreprises avec des critères différents, notamment dans le domaine de la sécurité. Mais tout n’est pas toujours possible, des ajustements sont souvent nécessaires, le public, les spécificités de santé doivent être mis en perspective des possibilités offertes par l’entreprise et des conditions d’exercice des postes.
Ces programmes sont un moyen de de limiter l'inadéquation entre le besoin des entreprises et le niveau des candidats, un moyen de « créer des ponts » en utilisant la formation.
Les métiers en tensions bien souvent besoin de candidats moins diplômés, on misera donc tout sur la montée en compétences via une formation pratique/terrain adaptée.
De surcroît, les personnes en situation de handicap font preuve d’une grande motivation, et ce programme ouvre des opportunités à des personnes qui sont parfois difficilement intégrées, car le handicap psychique fait encore trop souvent peur.
Ce programme est devenu un « totem » dans l’entreprise avec le parti pris de vouloir faire des choses autrement et qui cassent un peu aussi parfois l'idée que les entreprises ne font rien.

Eve :
Avez-vous un message à faire passer ?

Anne :
C'est la rencontre qui fait la différence.



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